Blue Jean, le portrait sensible d’une prof de sport lesbienne sous Thatcher

Rosy McEwen apporte toute la complexité émotionnelle nécessaire au personnage de Jean. © cinéart
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Premier film de Georgia Oakley, Blue Jean trace le portrait sensible d’une prof de sport lesbienne dans le contexte homophobe de l’Angleterre des années Thatcher.

Présenté aux Giornate degli autori, Blue Jean, le premier long métrage de Georgia Oakley (lire la critique page 17), devait constituer l’une des belles surprises de la dernière Mostra de Venise, remportant au passage le prix du public. La réalisatrice britannique, autrice auparavant d’une poignée de courts métrages, y brosse, dans l’Angleterre de la fin des années 80, le portrait d’une jeune prof d’éducation physique -Jean, incarnée par la formidable Rosy McEwen-, choisissant de dissimuler son homosexualité dans un contexte d’homophobie qu’allait institutionnaliser l’adoption, par le gouvernement Thatcher, de la Section 28. “Je suis tombée sur un article parlant d’un groupe de lesbiennes qui étaient descendues en rappel à l’intérieur de la Chambre des Lords à l’occasion du débat sur l’adoption de cette loi, en 1988, explique la réalisatrice. Je me suis interrogée sur l’incidence qu’elle avait pu avoir sur ma propre expérience d’élève, mais aussi ce qu’elle avait dû représenter pour les profs, gays en particulier, qui enseignaient à l’époque.

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Adoptée en 1988, la Section 28 désigne l’ensemble des lois prohibant la promotion de l’homosexualité, interdisant par exemple aux établissements scolaires britanniques de parler de l’acceptabilité de l’homosexualité en tant que relation familiale. Elle ne sera abrogée qu’en l’an 2000 en Écosse, trois ans plus tard dans le reste du Royaume-Uni. Et le film, s’il s’attache à un destin individuel, salue aussi le combat de l’ensemble des professeures qui s’étaient battues contre la stigmatisation et la diffamation en ayant résulté. “En faisant mes recherches, j’ai eu accès à de nombreux témoignages de première main de profs lesbiennes parlant de leur expérience à l’époque, les problèmes mentaux inextricables, les amitiés se délitant, tout ce dont parle le film. J’en ai rencontré certaines, et le projet a pris forme.

Transcender l’époque

Georgia Oakley est née dans l’Oxfordshire en 1988, l’année même du vote d’une loi dont elle ignora pendant longtemps l’existence. “Personne n’était vraiment informé, à moins d’être engagé activement dans la lutte pour les droits des gays, relève-t-elle. Ce n’est pas un sujet que nous abordions entre nous, ados, et les médias grand public n’en parlaient pas. Un grand silence entourait le sujet et, personne dans mon école n’ayant fait son coming out, il n’était pas sur mon radar. Et s’il ne l’était pas, c’est aussi parce qu’il s’agissait d’homophobie institutionnalisée dégoulinant depuis le niveau gouvernemental, avec pour objectif que les étudiants ne parlent pas de sexualité.” Une époque que le film restitue par sa patine vintage, traduisant la couleur et l’humeur (musicale notamment) des années 80 en s’attachant toutefois plus à l’esprit qu’à la lettre. “Faire des recherches sur cette époque a été un réel plaisir, poursuit la réalisatrice, compulser de vieilles photographies, y puiser de l’inspiration. Mais nous n’avons pas cherché à obtenir un résultat hyperréaliste, nous espérions faire un film qui paraisse avoir été tourné à l’époque, plutôt qu’une copie conforme des années 80. L’idée étant de tendre à l’intemporalité, en nous accordant une certaine licence artistique, tant dans les designs que dans les costumes par exemple. Les étudiantes qui jouent au netball dans des tenues de satin rose, ce n’est absolument pas réaliste, mais il nous semblait important d’ajouter un peu de magie à ce qui existait.

Intemporel, le film l’est également par les enjeux qu’il soulève, l’homophobie étant encore, euphémisme, tristement répandue autour du globe. “Je voulais mettre en scène ces micro-oppressions auxquelles des personnes continuent à faire face au quotidien aujourd’hui encore, poursuit Georgia Oakley. En m’intéressant à une époque précise, mon intention était de montrer ces petits moments qui peuvent avoir un effet dévastateur durable sur des individus, une réalité à laquelle des gens sont toujours confrontés. Il s’agit avant tout de faire prendre conscience, d’inciter les gens à s’engager et à s’interroger sur leurs propres préjugés. Les gens ne sont pas toujours conscients de leurs préjugés, et l’une des choses que s’attache à montrer le film, c’est que l’on peut fort bien en avoir tout en étant persuadé du contraire.Sans conteste engagé, Blue Jean ne verse pas pour autant dans les travers du film militant, la cinéaste privilégiant un drame intime sensible, en prise sur les dilemmes auxquels doit faire face son héroïne. En quoi elle aura trouvé en Rosy McEwen une interprète idéale: “Rosy a su apporter une réalité émotionnelle au rôle. Beaucoup de ceux et celles qui avaient lu le script se demandaient si le public serait susceptible d’aimer un tel personnage. Mais cette réserve ne m’a jamais semblé pertinente, parce que je savais que je choisirais, pour interpréter Jean, une actrice capable de rendre accessibles des émotions complexes, mais aussi d’incarner un personnage poussé à commettre des actes terribles sans que l’empathie des spectateurs ne s’en ressente. C’était l’intérêt de tourner ce film, et ce qui rend Jean tellement poignante, c’est l’humanité que lui a apportée Rosy.Blue Jean restera d’ailleurs aussi comme le film ayant révélé l’actrice, et sa formidable capacité à canaliser des émotions multiples sous son imperturbable poker face…

Portrait : Rosy McEwen

Physique androgyne n’étant pas sans évoquer celui du Bowie de l’époque, le cheveu blond et le regard bleu-vert incandescent, Rosy McEwen crève l’écran dans Blue Jean, le premier long métrage de Georgia Oakley (lire aussi page 14), un drame intime dont l’action se situe en 1988, dans l’Angleterre de Margaret Thatcher. L’actrice britannique y est Jean Newman, professeure d’éducation physique contrainte de dissimuler son homosexualité après que le gouvernement a fait adopter la “Section 28”, une loi stigmatisant la communauté gay. Ce rôle, elle l’habite d’un mélange de flegme et de vulnérabilité, tout en donnant à son combat intérieur une intensité rare. À quoi la comédienne a apporté une touche toute personnelle. “Quand on incarne un personnage, la dernière pièce du puzzle doit venir de soi pour lui conférer de l’authenticité. J’ai ressenti chez Jean un douloureux besoin de se sentir libre et d’être soi-même, un objectif en vue duquel je m’étais moi-même imposé une grosse pression. Nous avons ça en commun.” Avec à la clé une incontestable réalité émotionnelle, meilleur moyen de s’assurer l’empathie du spectateur, alors même que son personnage traverse cette zone de turbulences sans égard pour les dommages collatéraux.

La petite histoire veut que, alors âgée de 13 ans, Rosy McEwen ait été l’une des deux comédiennes retenues pour jouer le rôle de Briony Tallis, dans Atonement, de Joe Wright, le rôle allant finalement à Saoirse Ronan. Partie remise seulement pour la jeune femme qui, après des études en Histoire de l’art à l’université de Leeds et un diplôme de la Bristol Old Vic Theatre School, s’est multipliée sur les écrans et les planches, apparaissant notamment dans la série The Alienist, sur Netflix, avant de tâter de la SF avec Vesper Chronicles, non sans interpréter pour l’heure Desdémone dans une version de Othello montée au National Theatre de Londres. Blue Jean et le British Independent Film Award consécutif devraient contribuer à élargir encore l’horizon de celle que l’on verra prochainement dans Apartment 7A, annoncé comme un prequel de Rosemary’s Baby, et dont le quotidien professionnel Variety annonçait récemment qu’elle avait signé avec la prestigieuse agence américaine CAA…

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