Benoît Poelvoorde: « Pour moi, la question de la représentation de Dieu n’a aucun intérêt »
Rentrée chargée pour le comédien, commissaire de l’Intime Festival troisième du nom, grand timide qui se soigne devant la caméra de Jean-Pierre Améris et surtout Dieu le Père en personne chez Jaco Van Dormael. Tout donner!
« Attends un peu. Le Vif/L’Express… Le Vif/L’Express… Vous venez pas de faire un dossier sur les tueurs en série? Ha, mais bien. Ça vaut la peine que je le prenne ou pas? Non, ça vaut rien ou quoi? On sait déjà tout? Attention, parce que je suis devenu un expert dans les tueurs en série. Après C’est arrivé près de chez vous, je me suis ramassé tous les tarés obsédés par le sujet. Moi j’y connaissais que dalle, hein, à l’époque. Mais on a fait un an de promo internationale pour ce film avec Rémy Belvaux et André Bonzel. Un an! Donc j’ai rencontré tous les fêlés de la Terre qui n’aiment rien tant que disserter sur les serial killers. Il faut savoir que c’est un sujet qui plaît beaucoup aux jeunes filles, en fait. C’est très troublant. Attends… Me dis pas que tu m’as piqué mon briquet!? »
Chemise large ouverte sur un torse cramoisi dans une chambre avec vue d’un hôtel saint-gillois, Benoît Poelvoorde, savoureusement ingérable, tient une clope dans une main, et le dernier numéro de Focus Vif dans l’autre. « Allez, fous-moi le camp d’ici avec ton fanzine (rire)! Non mais installe-toi mon petit chéri. Comment ça va? » Déjà à l’affiche d’Une famille à louer, la comédie fadasse de Jean-Pierre Améris où il donne la réplique à Virginie Efira, et en passe de renouer avec son rôle de commissaire de l’Intime, son festival littéraire, l’acteur est surtout là pour défendre le gros bifteck blanc bleu belge de la rentrée: Le Tout Nouveau Testament de Jaco Van Dormael, improbable fantaisie brusselaire où il campe Dieu le Père façon salaud fini en peignoir et chaussettes blanches. « Il est vrai qu’à la lecture du scénario… Si c’est pas Jaco… Parce que c’est couillu, quand même. Ma première question à Jaco, quand j’ai fini par le lire, ça a été: « Mais comment tu vas faire ça? » Il m’a dit: « T’inquiète. » Ceci dit, moi j’avais déjà accepté sans le lire, hein. Il faut dire que Jaco a l’art de te formuler ça… Je m’en rappellerai toujours parce que je sortais du tournage du film d’Améris, justement. Il m’appelle et il me dit: « Est-ce que tu pourrais tourner dans mon film? » Et alors là j’aime bien, parce qu’il nous a tous servi la même phrase: « Ça ne te prendra pas longtemps, une dizaine de jours maximum. » Tu ne peux pas faire plus plaisir à un acteur, hein. Un tournage de dix jours, c’est le rêve. »
Une promesse de tournage léger pour les acteurs, plus lourd pour son réalisateur lancé dans un film résolument choral –« Ce qui est génial avec Jaco, c’est que le héros du film, c’est le film », rigole encore Poelvoorde. Mais toujours en famille. « Il travaille tout le temps avec la même équipe. Chef op, preneur de son… Tu sais comment j’appelle les tournages de Jaco? La crèche. Parce que tu rencontres quelqu’un et tu dis: « Mais t’es qui, toi? » Et l’autre, inévitablement: « Ah moi je suis le fils de machin qui travaille à la lumière. » Non seulement Jaco tourne avec la même équipe depuis 20, 25 ans, mais ces gens ont fait des enfants, qui ont à leur tour intégré l’équipe. Donc en fait c’est une crèche, parce qu’on garde les enfants de tout le monde. »
Dents de sagesse
Du symbole de la crèche aux voies, forcément impénétrables, du Seigneur qu’il incarne tout en ire grimaçante à l’écran, il n’y a qu’un pas, que Poelvoorde, entre deux taffes nerveuses, franchit allègrement, s’aventurant sans ambages sur le terrain « spirituel » de l’entreprise. « Bon, Jaco, il va te dire qu’il est athée. Alors que moi je suis croyant, j’ai la foi, il faut savoir que j’ai fait les Jésuites à Godinne hein. Mais au final, si tu regardes le film, celui qui voudrait le plus croire, c’est bien Jaco. Pour moi qui suis croyant, la question de la représentation de Dieu n’a aucun intérêt. Jaco en est encore à imaginer un Dieu qui serait maître du destin des autres, et une histoire où c’est parce qu’il est désagréable et parce qu’il choisit d’emmerder le monde que les injustices existent sur la Terre. Mais moi en tant que croyant, je suis bien au-delà de savoir s’il est représenté dans un nuage avec une pipe ou si c’est vraiment lui qui décide de la vie des autres. Jaco, lui, tient un peu d’un enfant de 12 ans qui recyclerait des histoires de catéchisme. En ce sens, le film n’est pas du tout blasphématoire. Au contraire, il est encore assez naïf pour se dire que peut-être il existe quelque chose là au-dessus qui détermine notre vie. Parce que le vrai sujet il est là, c’est le déterminisme. Sommes-nous programmés pour vivre telle ou telle chose? »
Et Benoît Poelvoorde, donc, il en pense quoi? « Le film est plein d’amour, c’est une fable qui repose sur une interrogation très simple: « Et si tu connaissais la date de ta mort, comment vivrais-tu? » Il s’agit là d’une vraie question philosophique. Pourquoi ne vivons-nous pas chaque instant de notre existence en nous disant que nous allons mourir? Il suffit de faire le test avec les gens qui vont chez le dentiste. Avant d’aller chez le dentiste, tu te dis: « Merde, j’étais très heureux avant d’y aller. Pourquoi n’ai-je pas davantage profité de tous les moments de mon existence où je ne devais pas aller chez le dentiste? » Et d’ailleurs le lendemain, quand tu n’as plus mal, tu te dis: « Désormais, je profiterai chaque jour du fait de ne pas avoir mal aux dents. » Et bien la vie c’est pareil. Ce que Jaco essaie de nous dire, sans être trop pompeux, c’est: « Profitez de tous les moments qui vous sont offerts. » D’un autre côté, il y a cette phrase très dépressive de Jacques Dutronc à qui on a demandé un jour ce qu’il ferait s’il lui restait une seule heure à vivre. Il a répondu: « Je me suiciderais. »«
LIRE ÉGALEMENT LA CRITIQUE DU FILM ET L’INTERVIEW DE JACO VAN DORMAEL DANS LE FOCUS DU 28 AOÛT.
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