Avec La Chimera, Alice Rohrwacher piste les pilleurs de tombes

Alice Rohrwacher: "J’ai vu en Josh O’Connor quelque chose d’Arthur et j’ai réécrit le rôle spécialement pour lui."

Oubliez Lara Croft et Indiana Jones: La Chimera, magnifique fable magico-réaliste, met en scène de véritables pilleurs de tombes, que la réalisatrice Alice Rohrwacher, acclamée pour Lazzaro felice, connaît depuis son enfance.

Josh O’Connor, le prince Charles de la série The Crown, est un pilleur de tombes. Ou en incarne en tout cas un dans le nouveau film réalistico-­magique d’Alice Rohrwacher, La Chimera (lire la critique ici). Avec Lazzaro felice, primé à Cannes, la réalisatrice italienne s’est imposée comme l’un des talents cinématographiques les plus singuliers ­d’Europe. Josh O’Connor incarne Arthur, un Anglais doté d’un sixième sens pour repérer des trésors archéologiques dans le sous-sol italien. Au début des années 80, ces objets étaient sortis de terre par des « tombaroli », des hommes qui ne se souciaient guère de la loi et qui pénétraient sans sourciller, la nuit, dans les tombes millénaires des Étrusques, une importante civilisation pré-romaine.

Avec toute l’espièglerie qui la caractérise, Alice Rohrwacher suit le parcours de ce mystérieux Arthur, qui par ailleurs pleure sa bien-aimée et se sent très à l’aise dans l’ancien palazzo délabré de sa grand-mère Flora (Isabella Rossellini). Comme dans ses films précédents, la réalisatrice laisse libre cours à son imagination, en s’inspirant de divers récits populaires et en posant la question de ce que nous faisons du passé. Mais cette histoire de tombaroli, elle ne l’a pas inventée. « Dans mon enfance et mon adolescence, j’entendais régulièrement des hommes se vanter au bar ou dans la rue des objets qu’ils avaient pillés la nuit dans les tombes étrusques. Ce qui m’impressionnait, ce n’était pas tellement l’illégalité de ces actes ou les stratagèmes des voleurs pour déjouer les carabiniers: j’étais plus étonnée par le fait qu’ils ne voyaient manifestement pas de problème à profaner de nuit des tombes souterraines vieilles de plusieurs millénaires. D’où venait leur culot d’aller voler dans le monde des morts? J’ai toujours pensé que le monde invisible est beaucoup plus puissant que le monde visible et je trouve cette violation irresponsable et dangereuse, affirme Alice Rohrwacher. Qu’est-ce qui motive ces hommes? Ces tombes sont restées intactes pendant des siècles. À partir de quel moment peut-on voler quelque chose qui est considéré comme sacré et que l’on a confié aux morts? Est-ce quand on ne se sent plus liés à eux et qu’on pense pouvoir vivre sans tenir compte du passé? Est-ce typique d’une société de consommation qui valorise l’argent plus que le sacré?« 

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Des pions

Pour préparer le film, la réalisatrice a eu de longues conversations avec de vrais tombaroli. « En général, ces hommes aiment parler de leurs aventures et de leurs découvertes. Ils ont souvent une haute estime d’eux-mêmes et restent très fiers de ce qu’ils ont fait à l’époque. Dans leur manière de voir les chose, ils ont ainsi donné une nouvelle vie à des objets qui n’avaient eu aucune utilité pendant des siècles. » Aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus de tombaroli en activité car la législation sur les objets archéologiques a été renforcée et les réseaux sont mieux contrôlés. « Mais les anciens estiment eux que la grande différence avec le passé, c’est que les jeunes n’ont plus la force musculaire nécessaire pour creuser suffisamment profondément pour trouver des tombes. »

Alice Rohrwacher souligne que les tombaroli ne sont qu’un élément du tableau. « Ils ne se rendent pas compte qu’ils ne sont que des pions dans un jeu bien plus grand. Ils pensent être les aventuriers de l’Arche perdue, mais ils ne sont que des petits voyous. Ce ne sont pas eux qui mettent la main sur les grosses sommes d’argent, la vraie corruption se déroule dans des sphères supérieures. » Pour la réalisatrice, les pilleurs de tombes ne sont pas les plus grands criminels. « Lors de nos repérages, nous sommes tombés sur un sanctuaire avec une magnifique mosaïque romaine sous une usine de charbon sur la côte tyrrhénienne. Personne ne s’en souciait. Et ce n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres. Au nom de l’économie, presque tout est permis et les gens ne se soucient ni du passé ni de l’environnement. C’est criminel. Ce qui me déplaît profondément en Italie, c’est que mon pays soit glorifie désespérément le passé, soit le piétine sans vergogne. Il n’y a jamais de juste milieu. Je ne comprends pas cette attitude. »

Alice Rohrwacher


Josh O’Connor a décroché le rôle principal grâce à un coup de chance. « Au départ, j’avais en tête un vieil homme expérimenté, mais je ne trouvais personne pour l’incarner. Jusqu’à ce que je reçoive une lettre dans laquelle Josh O’Connor se montrait très élogieux par rapport à Lazzaro felice. Nous nous sommes rencontrés, j’ai vu en lui quelque chose d’Arthur et j’ai réécrit le rôle spécialement pour lui. » Concernant Isabella Rossellini, il n’y avait pas d’alternative. « Ça fait des années que je veux travailler avec Isabella Rossellini parce que c’est une grande actrice, un mythe et une femme belle, douce, intelligente, géniale. Mais cette fois-ci, j’étais encore plus motivée. Parce qu’Isabella est l’exemple parfait de la façon dont on peut vivre en harmonie avec le passé. Ses parents sont deux géants du cinéma: Roberto Rossellini et Ingrid Bergman. Ç’aurait pu ­l’écraser, mais elle s’en est sortie avec une incroyable grâce.« 

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