Ari Folman: « Si les enfants ne vont pas voir Où est Anne Frank!, j’en mourrai »
Réalisateur de Valse avec Bachir et Le Congrès, l’Israélien Ari Folman tente de garder vivant et actuel l’héritage d’Anne Frank dans un long métrage d’animation à destination des enfants et des jeunes adolescents. Rencontre.
« Je ne vais pas mentir. Quand, il y a huit ans, la Fondation Anne Frank m’a contacté pour me proposer ce projet, j’ai d’abord refusé de manière très tranchée. Je ne voyais pas trop ce que je pourrais apporter à cette histoire. Il me semblait que tout avait déjà été fait sur ce sujet. Et puis je souhaitais prendre mes distances avec le cinéma d’animation et faire un vrai break. Parce que la production de longs métrages animés est quelque chose de particulièrement lourd et chronophage. Ça me fatigue énormément. Mais quand j’ai annoncé à ma mère, qui est une survivante de l’Holocauste, qu’on m’avait fait cette proposition, elle m’a dit que si je n’acceptais pas, elle allait se laisser mourir le plus rapidement possible. J’ai donc fini par dire oui, et ça m’a pris huit années de ma vie. Ma mère, évidemment, n’a pas manqué d’ironiser là-dessus. Elle m’a dit: « Ari, mon fils, c’est quand même incroyable, il t’a fallu deux fois le temps qu’a duré l’Holocauste pour faire ce film! » »
Peu avare en matière d’humour juif, Ari Folman n’en semble pas moins profondément las et marqué au terme de ces huit années de labeur quand on le rencontre en octobre au Film Fest de Gand. Pour lui, le cinéma d’animation est un éternel combat, et l’arrivée d’une certaine pandémie n’a évidemment pas facilité la finalisation d’une oeuvre à l’élaboration massivement collective et transfrontalière. C’est que le réalisateur israélien n’est pas non plus du genre à se faciliter la tâche. Pas question, par exemple, pour lui de proposer une énième adaptation fidèle du célèbre Journal d’Anne Frank. À travers ce projet de longue haleine, il s’agit, au contraire, d’en dépoussiérer assez radicalement le contexte et les enjeux dans un ping-pong constant entre passé et présent.
L’idée qui préside au film est la suivante: donner vie à Kitty, l’amie imaginaire d’Anne Frank à qui était dédié son journal, et en faire la protagoniste contemporaine d’un récit qui la voit se lancer dans une véritable quête pour découvrir ce qui est arrivé à Anne durant les derniers mois de son existence. Chemin faisant, Kitty ouvre également les yeux sur la situation à laquelle l’Europe est confrontée en ce moment avec la crise des migrants. S’instaure alors un dialogue non-linéaire entre hier et aujourd’hui à travers le message laissé par Anne Frank, que le long métrage d’Ari Folman, qui mêle personnages en 2D et décors en stop motion, tente de rendre le plus vivant et actuel possible…
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Une vraie jeune fille
Si l’approche, bien sûr, est originale, elle a aussi ses limites, Folman s’égarant notamment parfois dans des digressions contemporaines assez futiles. Voire un peu simplistes. Peut-être aussi parce que le film s’adresse avant tout aux enfants (à partir de 10 ans) et aux jeunes adolescents. Le cinéaste insiste beaucoup sur ce point: « Je pense qu’à 15 ans, les ados ne vont pas voir un film sur Anne Frank, ils vont voir une production Marvel. Dès le début du projet, je savais que je voulais le faire avant tout pour un public très jeune. Anne a commencé à écrire son journal le jour de ses 13 ans. Son écriture est très intelligente, et son sens de l’observation assez remarquable. Mais c’était aussi et surtout une vraie jeune fille de son âge, et je voulais que ça se ressente à travers mon film. Aujourd’hui, elle est trop souvent devenue une espèce d’attraction touristique. Les jeunes sont complètement déconnectés émotionnellement de son histoire. Je tenais à ce qu’ils se reconnaissent en elle et en Kitty. Parce que je pense que l’identification aide au travail de mémoire. »
Mais Folman va plus loin: « Je suis bien sûr très fier que Valse avec Bachir ait, à l’époque, ouvert la voie à toute une série de projets d’animation travaillés par des questions très adultes. Mais, personnellement, je tiens à préciser que plus jamais je ne ferai de film d’animation pour les adultes. Et je vais vous dire pourquoi… Quand, dans la foulée de Valse avec Bachir, j’ai réalisé Le Congrès, je savais que je m’attaquais à un projet compliqué, qui traitait de technologie et d’identité dans un contexte de SF assez élaboré. Le film, que je ne renie absolument pas, je l’aime toujours beaucoup, a coûté 10 millions d’euros, a demandé énormément de temps et d’efforts… et personne n’est allé le voir au cinéma. J’en suis venu à la conclusion que c’était tout simplement immoral. Quand vous faites un film en prise de vues réelles, le tournage dure 40 jours. En animation, des gens dessinent pour vous d’arrache-pied durant des années. La production d’un long métrage d’animation est une entreprise complètement folle. Si vous concédez à faire cet effort immense, c’est pour que les gens aillent le voir. Sinon c’est juste complètement insensé. Et je vais vous dire autre chose: si les enfants ne vont pas voir Où est Anne Frank!, j’en mourrai. Ce serait un échec impossible à surmonter pour moi. Pourquoi mettrais-je huit ans de ma vie dans un film qu’aucun enfant ne va voir dans les salles? »
Pendant ce temps, la mère du réalisateur, elle, est toujours bien vivante, affichant désormais 98 ans au compteur. « Oui, je lui avais fait promettre de vivre au moins jusqu’à la première du film. C’est peut-être pour ça, aussi, que ça m’a pris si longtemps (sourire) . Mais, le moment arrivé, j’ai commencé à paniquer. Je me suis dit, OK, elle va mourir maintenant. Donc j’ai passé un nouveau contrat avec elle. Je lui ai dit que je ne lui montrerais Où est Anne Frank! qu’à condition qu’elle vive encore jusqu’à la concrétisation de mon projet suivant. Ainsi, elle a fini par voir le film. Elle m’a dit que ça lui avait beaucoup plu. Mais bon, c’est une vraie mère juive. Elle me protège beaucoup. »
Où est Anne Frank!, d’Ari Folman. 1h39. Sortie: 15/12. ***
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