Critique | Cinéma

Argentina, 1985: un procès exemplaire

3,5 / 5
Julio Strassera (Ricardo Darín) et ses jeunes assistants: une alliance au service du changement. © National
3,5 / 5

Titre - Argentina, 1985

Genre - Thriller

Réalisateur-trice - Santiago Mitre

Casting - Ricardo Darin, Peter Lanzani

Sortie - Amazon Prime Video

Durée - 2h20

Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Dans Argentina 1985, Santiago Mitre retrace le fil des événements ayant conduit au procès exemplaire de la junte militaire au pouvoir en Argentine de 1976 à 1983.

Des films de procès, il y en a eu de nombreux. Rares, cependant, sont ceux à pouvoir prétendre à la force et à l’intensité d’Argentina, 1985, de Santiago Mitre. Le réalisateur argentin y retrace le fil des événements qui devait, au mitan des années 80, amener les responsables de la junte militaire, au pouvoir dans son pays de 1976 à 1983, à répondre de leurs actes devant une juridiction civile. Une grande première, et une date-clé pour la jeune démocratie. Avec ce film, présenté en compétition à la Mostra de Venise, Mitre, qui a été le scénariste de Pablo Trapero avant de passer à la mise en scène, s’empare pour la première fois d’un sujet emprunté à la réalité: “J’ai abordé des sujets politiques dans la plupart de mes films, à travers lesquels j’essaie de mener une réflexion sur le pouvoir. Je voulais faire un film sur la justice, et j’ai toujours eu une profonde admiration pour ce procès. Ma mère travaillait dans le secteur de la justice, et elle connaissait un peu Julio Strassera, le procureur qui en avait la charge. J’avais entendu parler de lui, et de sa façon unique de se comporter, et j’avais toujours eu la conviction qu’il ferait un bon personnage de cinéma. Mais je n’en savais pas beaucoup plus, même si j’étais conscient de l’importance de ce procès en raison du contexte: il a débuté alors que les militaires étaient encore très puissants, et à une époque où l’Argentine était entourée de régimes militaires. Le simple fait de tenir ce procès était une décision courageuse.

Les recherches qu’il entame alors achèvent de convaincre Santiago Mitre qu’il tient là le sujet de son prochain film: “J’ai assez vite compris qu’à l’époque, personne, au sein de l’appareil de la justice, ne tenait vraiment à faire ce procès. La justice avait été complice de la dictature d’une certaine manière, et elle ne voulait pas s’attirer des ennuis. Et Strassera n’était pas un héros: c’était un homme qui avait passé sa vie dans ce département, et qui s’est mis à la tâche parce que c’était son travail. S’il refusait, il n’avait plus qu’à démissionner. Il a donc accepté et, n’ayant personne à ses côtés, il a décidé de s’entourer de jeunes avocats sans expérience. C’est cette image que j’ai voulu transmettre à la jeune génération argentine: la droite est toujours puissante, on peut entendre des jeunes de 18 ans tenir des propos fascistes. Il me semblait donc important de faire ce film non seulement pour rappeler à la jeune génération ce qui s’est passé sous la dictature, mais aussi pour montrer qu’il est possible de combattre la droite et les discours fascistes qui nous entourent aujourd’hui.

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Procédés documentaires

Si Santiago Mitre poursuit un agenda, Argentina, 1985 n’a pas les lourdeurs du film à thèse. Un écueil qu’il évite pour diverses raisons, la première tenant à la personnalité complexe de sa figure centrale, Julio Strassera, à qui Ricardo Darín apporte toutes les nuances requises. “J’ai de l’admiration pour Strassera, parce que c’est un homme qui a su se reconstruire, poursuit le réalisateur, et à pu donner un tour héroïque à son existence, en rencontrant les besoins de la société à l’époque. Strassera éprouvait de la culpabilité parce qu’il n’avait rien fait contre la dictature alors qu’il travaillait dans le département de la justice. Peut-être avait-il peur des conséquences et d’être éliminé. Mais quand il en a eu l’opportunité, il l’a fait. J’apprécie ce genre de héros à dimension humaine. Il a protégé sa vie, mais quand les conditions ont été réunies, il a fait ce qu’on attendait de lui, en s’entourant de jeunes encore bien.

Une autre raison tient à la qualité de l’écriture, et à une construction narrative alliant l’efficacité d’un thriller à la densité dramatique. “L’idée était de s’appuyer sur un genre cinématographique, le thriller, ou le thriller juridique, pour aborder une réalité dure. Mais si le film s’inscrit dans un genre, nous avons tenu à être fidèles à l’Histoire, en recourant à des procédés documentaires.” Ainsi, notamment, en s’appuyant sur les minutes du procès, les acteurs qui jouent les témoins reprenant les mots des victimes qui avaient été appelées à la barre. Avec comme point d’orgue le témoignage d’Adriana Calvo de Laborde revenant sur les atrocités qu’elle avait subies, “un climax de l’horreur”, affirme Mitre.C’est une icône. Après le procès, elle a poursuivi le combat. C’est la première survivante à avoir témoigné, parce que les procureurs savaient qu’elle en avait la force. Son histoire est incroyable, et je voulais que les spectateurs se souviennent d’elle et de ce qu’elle avait fait. C’est une héroïne.

Argentina, 1985 : la critique

Avec Argentina, 1985, Santiago Mitre s’empare d’un épisode-charnière de l’Histoire récente de son pays: le procès qui allait voir les responsables de la junte militaire, au pouvoir de 1976 à 1983, devoir répondre de leurs actes devant une juridiction civile. Sans escamoter en rien la teneur dramatique des événements, Mitre mène l’entreprise avec l’efficacité d’un thriller, s’autorisant à l’occasion légèreté et humour. L’action, elle, se concentre sur les procureurs Julio Strassera (Ricardo Darín) et Luis Moreno Ocampo (Peter Lanzani), et leurs efforts, assistés d’une équipe de jeunes juristes, pour réunir preuves et témoignages dans la perspective du procès. Une gageure, dans un contexte de menaces et manœuvres d’intimidation incessantes, alors que les militaires disposaient encore d’entrées dans les cercles du pouvoir… S’appuyant sur une reconstitution soignée et des acteurs investis, Mitre conduit le récit de main de maître, en préservant la tension dramatique tout en lui donnant des contours tantôt poignants -les témoignages ont été empruntés à la réalité- tantôt galvanisants. Une réussite.

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