Alexis Langlois, cinéaste: «Il est temps que le public hétéro s’identifie à d’autres histoires»

Les Reines du drame, d’Alexis Langlois, mélange les codes, les genres et les références pour repenser l’altérité. © DR

Alexis Langlois définit son premier long métrage, Les Reines du drame, comme «une comédie mélodramatique musicale queer, où l’on traverse des émotions extrêmes». Un film hybride qui renverse les codes, sur le fond comme sur la forme.

«L’une des choses qui me touche le plus quand je présente Les Reines du drame, c’est quand des spectateurs queer qui ont la trentaine ou plus viennent me voir pour me remercier d’avoir imaginé le film qu’ils auraient rêvé de voir quand ils étaient ados.» Si les personnages queer ont toujours existé au cinéma, avec plus ou moins de masques ou de filtres, on ne peut que constater depuis quelques années un empressement et un enthousiasme à peupler les grands écrans d’héroïnes et héros ouvertement gay, revisitant le passé comme le présent, braquant les projecteurs sur des histoires restées jusqu’ici dans l’ombre.

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Cette phrase d’Alexis Langlois, rencontrée lors du dernier festival de Gand, fait ainsi écho aux propos de François Ozon qui disait avoir réalisé avec Eté 85 le film qu’il aurait adoré voir à 15 ans, et revient à la notion d’image manquante, qui préside à l’urgence et la nécessité d’enrichir la diversité des voix s’exprimant pour donner à voir des récits célébrant les minorités. A cet égard, Les Reines du drame, scintillant mélo pop qui a enthousiasmé la Croisette lors de sa projection à la Semaine de la critique est politique. «Oui, il y a aussi quelque chose de politique dans le film. Cela fait plus de 100 ans que l’on raconte des histoires d’amour hétérosexuelles, auxquelles les personnes queer se sont identifiées. Peut-être que pour une fois, on pourrait envisager l’inverse. Il est temps que le public hétéro s’identifie à d’autres histoires. C’est aussi un moyen de penser l’altérité.»

Technicolor des années 2000

L’idée, c’est tout à la fois de s’émanciper d’une tendance du cinéma queer à s’inscrire dans une tonalité réaliste, et d’investir un genre très codifié (celui du mélo) pour y greffer des références à première vue inattendues, créer une sorte de film hybride où Douglas Sirk tutoie Britney Spears, où George Cukor côtoie la téléréalité. Une façon aussi de mixer cinéma d’auteur et divas pop. «Le film, c’est l’histoire d’une réconciliation qui, par sa forme et son récit, crée du lien entre des choses qui n’en ont pas. Finalement c’est une réflexion autour de la norme. Mes héroïnes ne sont pas censées se rencontrer, l’une vient de la pop, l’autre du punk alternatif. Comme dans les grands films hollywoodiens des années 1950 et les émissions de télévision avec lesquelles on grandit dans les milieux prolétaires. Utiliser des codes visuels que l’on considère non nobles, mais pour raconter de grands récits, recycler des images de la pop culture que tout le monde trouve un peu dérisoires et leur donner le statut d’icônes, les transformer et montrer que le beau peut surgir n’importe où. Avec ma cheffe opératrice Marine Atlan, on a regardé aussi bien des films comme La Blonde et moi de Frank Tashlin que des clips des années 2000. Tout ce qui parait kitsch dans la téléréalité, comme les fondus-enchaînes qu’on n’utilise plus trop, c’est ce que les gens trouvaient beau à l’époque. Ce qu’on cherchait, c’était un Technicolor des années 2000. Mélanger, hybrider des choses qu’on aime, créer une harmonie avec des choses qui peuvent paraître disharmoniques.»

«Le film parle de passion, il fallait qu’il y ait une énergie sexuelle, que l’on ressente le désir bouillonnant.»

Un décor assumé de cinéma

Ce goût de l’hybridation se double d’un art de la débrouille. «On a fait le film avec un petit budget, tourner en studio nous donnait plus de liberté. C’est à la fois un désir esthétique, et une réponse créative à des contraintes.» Les Reines du drame s’amuse de l’esthétique particulière du studio, d’autant que «les décors ne devaient pas être naturalisés, il fallait qu’ils reflètent l’intériorité des personnages.» De toutes façons, ses héroïnes sont elles-même des performeuses. Les costumes, maquillages, coiffures sont autant d’extensions qui amplifient les corps et soulignent les personnalités, mais aussi transmettent les émotions des personnages. Il y a une vraie jubilation à raconter cette histoire d’amour bigger than life dans un décor assumé de cinéma.

Cette artificialité est rendue possible par la sincérité qui sous-tend le projet, à tous les étages, du jeu des comédiennes et comédiens aux compositions musicales de Rebeka Warrior ou Yelle. «C’est un vrai élan d’amour, pas un jeu de références. On s’en amuse, mais il fallait que ce ne soit pas pénalisant de ne pas les connaître.» A commencer sûrement par les chansons qui émaillent le film, notamment la première, Pas touche, sorte de bluette pop, croisement ingénieux (et irrésistible) entre Lorie et Britney. «Il fallait créer la chanson au premier degré, prendre très au sérieux la tragédie adolescente qu’elle raconte. J’adore Yelle, et j’étais sûre qu’ils pouvaient écrire des chansons qui peuvent avoir l’air très naïves ou très édulcorées au premier abord, mais dotées d’une vraie mélancolie et d’une vraie profondeur.»

Un amour multiple et polymorphe

Dans un autre registre, les morceaux de Billie Kohler défient les conventions. Si le film contourne les scènes de sexe, dans la grande tradition du mélo, les textes de l’idole punk abordent avec une frontalité délicieusement grossière la sexualité lesbienne des héroïnes. «Le film parle de passion, il fallait qu’il y ait une énergie sexuelle, que l’on ressente le désir bouillonnant. Je voulais que ce soit charnel sans que ce soit explicité visuellement. Et faire un pied de nez à un monde encore très normé, par exemple avec la chanson Fistée jusqu’au cœur. Une chanson très cul, et très romantique.»

Parce qu’en fin de compte, Les Reines du drame est avant tout une histoire d’amour, un amour multiple et polymorphe, celui de Mimi et Billie, celui du spectacle, celui des icônes pop qui nous font vivre le monde plus fort, celui de ceux qui ont l’audace et le courage de s’affranchir des normes. «Si je devais résumer le film, je dirais que c’est une comédie mélodramatique musicale queer, où l’on traverse des émotions extrêmes. Un peu comme à l’adolescence, quand on ressent les choses pour la première fois, parfois maladroitement, mais toujours très intensément.»

COMÉDIE DRAMATIQUE

Les Reines du drame

D’Alexis Langlois. Avec Louiza Aura, Gio Ventura, Bilal Hassani. 1h55.

La cote de Focus: 4/5

2055: Steevyshady, star des réseaux, revient sur la love story entre Mimi Madamour, princesse pop, et Billie Kohler, punkette emo, qui a déchiré la pop française. Les Reines du drame livre une histoire on ne peut plus classique d’ascension et de chute des idoles. Sauf que derrière cette dramaturgie intemporelle, Alexis Langlois convoque un maelström de références empruntées aux pop cultures qui la font vibrer, du cinéma hollywoodien des années 1950 à la pop sucrée des années 2000. A travers ce conte musical qui brasse joyeusement les esthétiques, elle questionne avec habileté la question du goût, bon ou mauvais, les endroits où cultures mainstream et indé entrent en collision pour créer des œuvres hybrides, patchworks d’influences cousus de fil d’or. Audacieux, euphorique et revigorant, imaginant avec gourmandise les images manquantes de la culture queer contemporaine en jouant intelligemment des mises en abyme, Les Reines du drame s’affranchit des genres pour inventer son style, la mélocomédie.

 

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