A Second Chance, la profession de foi de Susanne Bier

Nikolaj Coster-Waldau dans A Second Chance de Susanne Bier. © Rolf Konow
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Fragilisée par ses expériences anglo-saxonnes, la Danoise Susanne Bier revient avec un film plus modeste tourné à domicile, où la tragédie d’une enfance volée n’exclut pas la naissance d’un nouvel espoir.

« Je ne sais pas si ça relève de ma responsabilité d’auteure, mais il est important pour moi de ne pas sombrer dans le désespoir, d’aller vers la lumière, même si mes films ressemblent parfois à de longs tunnels poisseux. » On s’entretient de A Second Chance avec Susanne Bier à… l’automne 2014, dans un hôtel londonien où elle nous reçoit en pantalon de cuir noir ultra serrant et peu commodes bottes à talons qui lui confèrent l’aura sauvage d’une cougar à poigne échappée d’un épisode de Sons of Anarchy. Depuis, le film apparaît et disparaît régulièrement des plannings de son distributeur, pour finalement trouver le chemin des salles belges ces jours-ci. Quelque 17 mois (!) plus tard donc. Etrange et peu usuel flottement qui à lui seul en dit long sur les dernières années de l’imposante carrière de la cinéaste danoise.

Bier a 30 ans à peine quand elle se lance dans la réalisation avec Freud’s Leaving Home. Nous sommes au tout début des années 90. Dans la foulée, elle alterne librement les genres, entre comédie, romance et thriller, construisant de plus en plus franchement les oeuvres de cette première période scandinave comme autant de labyrinthes d’émotions complexes. A la notoriété locale se superpose ainsi très vite la reconnaissance internationale via un chapelet de drames intenses -et souvent un poil appuyés- au propos universel qui ont le chic de placer des gens très ordinaires dans des situations qui ne le sont pas. Brothers se voit ainsi distingué du prix du public à Sundance en 2005 avant que After the Wedding ne concoure pour l’Oscar du meilleur film étranger en 2007, récompense que rafle finalement In a Better World quatre ans plus tard. L’Amérique lui fait les yeux doux, et Susanne Bier se lance logiquement dans le circuit anglo-saxon dès Things We Lost in the Fire (2007), mélo tièdement accueilli et peu vu où Benicio del Toro donne la réplique à Halle Berry, puis Serena (2014), drame historique où Jennifer Lawrence retrouve Bradley Cooper, et qui ne sortira jamais en Belgique, le film faisant un flop international retentissant désormais consommable entre deux plateaux-repas sur certains vols long-courriers.

Susanne Bier
Susanne Bier© Les Kaner

Du tragique au biblique

De retour à la case danoise, elle signe alors ce A Second Chance qui peine à voir le jour, fable noire et claustro où un flic privé de bonheur conjugal (Nikolaj Coster-Waldau, le Jaime Lannister de Game of Thrones) échange son bébé mort avec celui, délaissé, d’un couple de toxicos. Une histoire forte et méchamment plombée, concoctée par Anders Thomas Jensen, le scénariste habituel de Bier, mais que la mise en scène de celle-ci, résolument atone, peine à faire décoller au-delà d’un simple emballage de téléfilm, la réalisatrice se bornant à travailler sans génie la thématique centrale de son cinéma: la famille. « Je suis une personne qui possède un grand sens de la famille, et je pense en effet que c’est une chose qui se ressent très fort dans mes films. La famille reste un élément fondamental de notre identité culturelle. Et cela, même si beaucoup de gens décident de lui tourner le dos aujourd’hui, chose qui n’en constitue pas moins un marqueur déterminant d’identité en soi. Nous sommes façonnés par l’endroit d’où nous venons, que nous le voulions ou non. »

Noyauté autour de douloureux dilemmes, A Second Chance lui donne l’occasion de creuser à nouveau le sillon d’un malaise et d’une ambiguïté morale qu’elle connaît bien. « C’est vrai. Mais ici nous savons que ce que le flic joué par Nikolaj décide de faire n’est pas correct. Il est en train de commettre une grave erreur, il n’y a aucun doute là-dessus. Ce qui ne veut pas dire que nous ne comprenons pas ses motivations ni que nous ne ressentons pas une réelle empathie pour lui. A bien des égards, ce personnage est un héros tragique. Quoi qu’il en soit, quand je fais un film, je ne représente aucun ordre religieux, je ne juge pas ni ne condamne: je suis simplement un être humain qui interroge le monde qui l’entoure. »

D’accord. Mais si la tragédie grecque n’est jamais loin, en effet, la question du bien et du mal qui traverse le film, et plus généralement la filmographie de Susanne Bier, n’est d’évidence pas dénuée d’enjeux à connotation… biblique. « C’est intéressant parce que A Second Chance a justement remporté le prix SIGNIS au dernier festival de San Sebastián. Soit la récompense décernée par l’Eglise catholique. En tant que Juive, j’ai trouvé ça cocasse, mais oui, j’aime tester la foi de mes personnages dans mes films, c’est un fait (sourire). »

A SECOND CHANCE. DRAME DE SUSANNE BIER. AVEC NIKOLAJ COSTER-WALDAU, ULRICH THOMSEN, MARIA BONNEVIE. 1H44. SORTIE: 16/03. ***

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