Vivre un été belge en venant de France: «Il me semblait que la Belgique avait inventé une cinquième saison» (carte blanche)

Paloma de Boismorel © Patrice Normand
Carte blanche

Pour la romancière Paloma de Boismorel, l’été belge est une institution en soi. Et la Française d’origine a bien adopté l’illusion de cette saison tellement désirée.

C’est par un mois d’août pluvieux et délicieusement verdoyant que je me suis installée en Belgique. Derrière les fenêtres de l’appartement où je montais mon lit et ma bibliothèque, le ciel ne changeait pas de couleur. Du matin au soir le même gris. Le même gris avec juste un gris un peu plus foncé en fin de soirée pour indiquer la nuit.

Entre deux notices IKEA, j’allais aérer mon esprit au Bois de la Cambre en traversant des pelouses dignes d’accueillir un meurtre dans un roman d’Agatha Christie. Dignes aussi d’être contemplées par une héroïne de Jane Austen en proie à l’introspection et aux chagrins d’amour. La Belgique, c’est l’Angleterre sans le ferry, c’est l’Angleterre en version française, m’enthousiasmais-je éperdument heureuse d’avoir trouvé un pays à la hauteur de mes rêveries littéraires et de mon aversion pour la fournaise du sud de la France où nous vivions depuis 3 ans.

En plus d’être subtilement british, il me semblait que la Belgique avait inventé une cinquième saison, une saison qui combinait la douceur du printemps et la mélancolie de l’automne. Une saison pour porter un imperméable comme une actrice de cinéma, une saison pour lire en écoutant les oiseaux, une saison secrète, une saison cachée dans les replis brûlants et glacés de l’année.

Et puis je suis tombée sur une photo montrant des brochettes de poulet mariné.

L’affiche placardée à l’entrée d’un supermarché vantait sans ambiguïté les mérites combinés du barbecue et de l’été. Déstabilisée, j’ai quitté le gazon des parcs bruxellois et j’ai réalisé que les abribus arboraient des bouteilles de rosé géantes tandis que les vitrines étalaient un carnaval de vêtements colorés et décontractés.

L’été était là, palpitant et brutal, avec ses tongs, ses canettes de soda, ses soirées festives, ses grains de sable entre les doigts de pied, son horizon de plages et de piscines chlorées.

Tout cela au mépris du magnifique ciel gris.

À quelle logique étrange obéissait ce pays ?

Les Belges me faisaient penser à ces Australiens qui décorent en maillot de bain un sapin de Noël faussement enneigé dans leur jardin. Il fallait se rendre à l’évidence: la Belgique n’avait pas inventé une nouvelle saison, la Belgique vivait l’été par procuration. Un été fantasmé et décalé, un été en désaccord avec la pluie et les nuages, un été surréaliste.

Magritte n’était pas né là par hasard.

Depuis, j’ai vécu de nombreux étés sur les pentes douces du Plat Pays, certains aussi étincelants et lisses qu’une publicité pour lunettes de soleil, d’autres tirés d’une faille temporelle, d’une béance du temps protégée par un rideau de pluie derrière lequel je me glisse avec ravissement.

À force de Belgique, je suis devenue Belge et j’ai participé à l’illusion collective de l’été. J’ai porté des shorts et organisé des pique-niques sous la pluie, dévoré des saucisses dans des jardins humides, parcouru les dunes de la mer du Nord en paréo et parapluie.

Aujourd’hui, je suis prête à tous les étés belges qu’ils soient ensoleillés ou totalement inventés. 

Journaliste et autrice, Paloma de Boismorel a sorti son premier roman La Fin du sommeil aux éditions de l’Olivier en février dernier. Retrouvez son portrait et la critique de l’ouvrage parus dans Focus Vif.

Le titre est de la rédaction. Le titre original: L’été par procuration

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