Blutch sort son Lucky Luke: “La BD, c’est l’art de la relecture et de la réinvention”
Le plus grand auteur contemporain est aussi le plus friand de re-créations. Après Tif et Tondu, voilà le Lucky Luke de Blutch. “Un aboutissement!”
Il y a des reprises et des réinventions qui tiennent parfois de l’évidence. Celle-ci l’est peut-être plus que toutes les autres parce que ça fait bien longtemps que Blutch dessine du Lucky Luke. On l’aperçoit déjà dans sa série autobiographique Le Petit Christian, dès 1998. On le retrouve dans Variations il y a cinq ans, chef-d’œuvre d’album qui voyait Blutch redessiner une planche, mais une seule, d’une trentaine d’albums qui ont marqué le lecteur qu’il était et l’auteur qu’il est devenu. Depuis, entre deux albums toujours très personnels et difficilement catégorisables, Blutch s’est offert, avec son frère, une reprise de Tif et Tondu (Mais où est Kiki?). Ne manquait donc que ce Lucky Luke qui figure tout en haut de son panthéon personnel pour, peut-être, boucler une boucle. “Depuis toujours dans mon travail, j’interroge la tradition, je relis beaucoup, je reviens vers mes sources. Variations avait cristallisé ce goût de la relecture, mais ce Lucky Luke sonne comme l’aboutissement de cette démarche. C’est vraiment “mon” Lucky Luke, l’album qui me manquait, quelque part entre Le fil qui chante et L’Empereur Smith. Et j’ai vraiment essayé de m’effacer et de coller au maximum aux dogmes “goscinnyens” et “morrissiens”: une partition précise, 44 planches, quatre bandes, pas de mots inutiles, de l’action, des ellipses… Ça m’a ouvert des portes de compréhension sur le mystère du dessin de Morris, son style plus âpre, presque sec, abstrait, assez unique, ses couleurs à la limite de la dissonance… Je ne l’ai toujours pas compris, mais je m’en approche!” Sachant qu’il n’est pas le premier à s’offrir un Lucky Luke par… –Matthieu Bonhomme, Mawil et Ralf König s’y sont déjà frottés, alors qu’Achdé continue d’assurer le dessin de la série officielle et mimétique-, Blutch en tout cas insiste: “Ce n’est vraiment pas un boulot de commande. Il m’est presque aussi intime que La Mer à boire, mon album précédent (aux éditions 2024, NDLR). On y trouve aussi le portrait presque craché de gens très proches, la même approche très instinctive et finalement, le même relâchement sur cette re-création que sur une création pure. J’ai vraiment fait ce que je voulais, comme je le voulais.”
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Regard ambigu
Cette recherche formelle et ce besoin de ré-invention et de re-visitation permanente fait donc -on l’aura compris- entièrement partie de l’œuvre de Blutch. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir un regard “ambigu” sur le principe devenu courant: “Je déplore parfois qu’on mette la création de côté pour privilégier les re-créations, mais je sais aussi que ce sont des livres qui font tourner le monde de l’édition. Variations existe sans doute chez Dargaud grâce à la série des Blake et Mortimer! Et il y a nombre de reprises que je trouve moins déplorables que cette bande dessinée du réel qui suce la roue du journalisme et qui s’est beaucoup développée dernièrement. C’est un biais, comme les biographies ou les adaptations de succès littéraires, qui appauvrissent beaucoup ce moyen d’expression, qui tient rarement compte de sa grammaire propre. A contrario, il y a des reprises même mimétiques qui ne m’indignent pas. Boule & Bill par exemple (dessiné par Jean Bastide, NDLR), je trouve ça très bien fait, à la hauteur des originaux de Roba.” Et de conclure: “L’art de la bande dessinée est intimement lié à l’enfance. Il y a la recherche, d’abord chez les lecteurs mais chez moi aussi, d’un enchantement, d’un moment envolé qui explique sans doute ce goût pour les reprises. Mais comme auteur, je suis aussi préoccupé par la frilosité des éditeurs face à la création pure. Moi j’ai la chance de pouvoir faire les deux.” Et parfois même au sein d’une même publication: en librairies le 1er décembre, son Lucky Luke, quoique fidèle aux canons, s’annonce comme un formidable album de Blutch.
Les Indomptés, un hommage à Lucky Luke d’après Morris, de Blutch, éditions Dargaud, 48 pages. Sortie le 1er décembre.
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