Foudroyants, Comet Club ou Moody rouge: la nouvelle jeunesse de la BD jeunesse

Dans Foudroyants, tome 1 – L’armée de Neptune, de Mathieu Burniat et les Kerascoët, on retrouve aussi l’influence du manga. © Modified by DALIM SOFTWARE
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’appétence historique de la BD franco-belge pour les séries jeunesse ou tout public ne s’est pas éteinte avec le roman graphique ou le manga. Une nouvelle génération d’auteurs férus d’hybridation s’en empare. Tels le lumineux trio de Foudroyants et les néo-mangas Comet Club et Moody rouge.

Le jeune berger Icare avait une vie paisible voire un peu morne sur son île de l’Atlantide, avant de découvrir qu’il possédait le don de produire de l’élektricité. Oui, élektricité avec un «k», une énergie rare produite par le corps même des «élus», à l’origine de la légendaire prospérité de la cité d’Icare, mais aussi de sa chute… Un pouvoir qui avait jusqu’ici disparu, et qui attise à nouveau la convoitise de Neptune et de son armée, laquelle s’apprête à pourchasser le héros et son amie Kalio. Icare va devoir apprendre à contrôler son nouveau don, et sans doute inscrire dans sa chair cet adage devenu commun dans les récits initiatiques de la pop culture: de grands pouvoirs impliquent de grandes responsabilités… Un petit goût de comics qui vient s’ajouter à la saveur de shonen de Foudroyants, bande dessinée franco-belge se présentant dans un «56cc» presque classique.

Traditions feuilletonesque

Le Bruxellois Mathieu Burniat et le duo français Kerascoët ont pleinement réussi, avec ce premier tome de Foudroyants, leur arrivée dans la fiction tout public, un secteur longtemps délaissé par les auteurs contemporains, avides de romans graphiques. Ce retour aux sources et à la tradition de la série à suivre –pourquoi pas en famille– tient du challenge, et se nourrit désormais à tous les râteliers de la créativité, qu’elle soit américaine ou surtout japonaise, dans une explosion plutôt enthousiasmante de nouvelles créations assumant leurs hybridations.

Moody rouge

D’Ariane Astier. Casterman, 200 p.

La cote de Focus: 3/5

Ben, un adolescent en proie aux pires tourments et aux cauchemars glauques, entretient des relations tendues avec ses parents adoptifs et idéalise à l’excès ses parents biologiques, pas moins toxiques. Car il avait tort de les chercher: un secret monstrueux va littéralement lui sauter au visage… Le manga d’horreur est une tradition parmi les traditions du manga au Japon; il l’est désormais en France, avec de jeunes autrices qui ne sont jamais vraiment remises de la découverte du Monster d’Urasawa. Hormis sa couverture cartonnée et son sens de lecture européen, Moody rouge, d’Ariane Astier (la fille d’Alexandre Astier), tient entièrement du «vrai» manga horreur, de son graphisme noir et blanc ultracodifié à ses personnages dont la psychologie ferait fuir Freud et Clarice Starling. 

Un petit goût de comics vient s’ajouter à la saveur de shonen.

Sébastien Cosset et Marie Pommepuy, le duo de Kerascoët, renoue depuis quelques années avec la BD jeunesse.

«On avait envie de faire un shonen depuis des années», explique d’emblée Sébastien Cosset, la moitié de Kerascoët, pendant que l’autre, Marie Pommepuy, se charge de la longue file de dédicaces qui les attend au festival international de la bande dessinée d’Angoulême. Le duo a connu de grands succès à la fois populaires et d’estime avec des one shots plutôt adultes tels Miss Pas Touche ou Jolies ténèbres, mais renoue depuis quelques années avec la BD jeunesse (De cape et de mots en 2022), voire l’illustration pour enfants. L’envie de se faire plaisir et de faire plaisir à leurs deux rejetons et cette fois, de renouer avec cette tradition feuilletonesque et familiale qu’ils trouvaient dans la BD franco-belge, mais aussi dans l’animation japonaise ou le manga.

Comet Club

De Yi Yang. Çà et là, 192 p.

La cote de Focus: 4,5/5

Yi Yang est née et a grandi à Benxi, (énorme) ville du nord-est de la Chine, où elle a «bouffé du manga, tout ce que je pouvais trouver». Mais elle a débarqué il y a dix ans à Bologne, pris des cours aux Beaux-Arts et découvert les fanzines et la BD contemporaine européenne. Aujourd’hui, elle dessine et écrit, en italien, des récits explosifs, familiaux et pleins de colère que se déroulent à Benxi, dans une énergie punk et fusionnelle qui se marie parfaitement avec les lignes de vitesse chères au manga. L’éditeur Çà et là ne s’y est pas trompé: il fait paraître aujourd’hui Comet Club, après Easy Breezy et Deep Vacation, petites bombes graphiques qui collent aux basques de deux lycéens tourmentés.

Des airs de Poisson Pilote

On avait presqu’oublié qu’ils avaient commencé leur carrière et duo dans la célèbre collection Poisson Pilote de Dargaud, qui, dans les années 1990, avait ouvert la première les portes des séries de fiction aux auteurs de la «nouvelle bande dessinée française» –Blain, Blutch, Larcenet et consorts. Un esprit qu’ils recréent aujourd’hui dans la nouvelle collection Charivari du même éditeur, avec cette minisérie annoncée en six tomes et bourrée d’énergie autant que de références. «On avait déjà cet univers graphique avec des personnages très expressifs, une parole plutôt libérée, des dialogues plus « parlés », mais on avait aussi envie d’un récit avec du peps, du souffle, des combats, une quête, un mélange d’histoire et de technologie, des personnages qui existent, qui évoluent, qui ont de vraies relations entre eux… Tout ce qu’on trouvait nous dans les anims et les premiers mangas, Les Merveilleuses Cités d’or, Détective Conan, Dragonball…  Et c’est exactement ça que nous a proposé Mathieu: un vrai shonen franco-belge sans ce coté « garçon ». Mais avec cette énergie et ces codes superdigérés.»

«Travailler pour la jeunesse m’oblige à être optimiste.»

Leur scénariste, Mathieu Burniat, ne disait pas autre chose quelques jours plus tôt dans un bistrot de Bruxelles: «J’avais envie de faire « mon manga », une série dans cet esprit shonen, une quête initiatique, bondissante, avec des héros qui évoluent et que je pourrais laisser évoluer, ce côté sériel qui incite aussi au dépassement de soi; des personnages qui sont au début un peu transparents, un peu martyrisés,  mais qui à force de travail, de persévérance, arrivent à se développer et à donner le meilleur d’eux-mêmes. Moi qui suis d’une nature plutôt anxieuse et écoanxieuse, je peux me laisser aller à la rêverie et à la douceur avec des récits comme ceux-ci, même si j’ai des choses à dire aux enfants sur des sujets contemporains. Mais travailler pour la jeunesse m’oblige à être optimiste.»

Foudroyants, tome 1 – L’armée de Neptune

de Mathieu Burniat et Kerascoët, Dargaud, 56 p.

La cote de Focus Vif: 4,5/5

 

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