Les éditeurs de bande dessinée comptent plus que jamais sur les réveillons pour sauver leur année. Nos petits conseils pour de beaux cadeaux dans cette avalanche de sorties.
Par Olivier Van Vaerenbergh
Néoclassique: La Double Exposition (Blake et Mortimer)
De James Huth, Sonja Shillito et Laurent Durieux. Editions Blake et Mortimer, 72 pages, 19,50 euros.

Pas de fin d’année sans Blake et Mortimer! Et ce coup-ci, ce ne sont pas une, ni deux mais bien trois nouveautés (autour d’une œuvre née en 1946 et dont l’auteur originel est décédé il y a près de 40 ans!) que les éditions du même nom publient pour enchanter les réveillons des amateurs de «vraies bandes dessinées», très satisfaits de leurs bédéthèques remplies de «48cc». Un classique de la Ligne Claire et de la BD franco-belge, donc, revisité en trois temps. Outre la reprise «classique» avec La Menace Atlante, 31e tome de la série-mère, réalisé sur le coup par Yves Sente et Peter van Dongen, et un très beau Diabolique!, 14e tome «hors série» dans lequel Thierry Bellefroid et Eric Dubois documentent brillamment la création du Piège diabolique publié en 1961, on retiendra surtout La Double Exposition, une «micro-aventure de Blake et Mortimer» qui se teinte de modernité et d’originalité.
Dans ce très beau demi-format à l’italienne proposant un récit écrit par le couple de cinéma James Huth/Sonja Shillito (lequel a longtemps travaillé sur une adaptation cinéma) et illustré par le classieux, très coté et rétrofuturiste Laurent Durieux, le duo se retrouve miniaturisé et plongé dans la maquette d’une ville futuriste, pour y affronter Miloch, Septimus, Voronov et une quinzaine d’Olrik! De quoi donner naissance à de sacrés beaux dessins aussi «jacobsiens» que «durieuesques», à voir voire à s’offrir en grand dès le mois de janvier à la galerie Huberty & Breyne, à Bruxelles.
Dessin: Tous en ligne
De Saul Steinberg. Editions La Table Ronde, 160 pages, 44 euros.

Il n’y aurait sans doute pas eu de Sempé, de Cabu ou de Siné en France s’il n’y avait eu, avant eux, le géant Saul Steinberg. Né en Roumanie, exilé aux Etats-Unis et à New York dès 1941, mort en 1999, Steinberg se définissait lui-même comme «un écrivain qui dessine». Son esthétique élégante et singulière a marqué l’âge d’or du dessin de presse et de l’illustration, entre autres via ses collaborations avec The New Yorker (pour lequel il réalisa entre autres plus d’une centaine de couvertures) et ses fréquents voyages en France, où il fut beaucoup exposé. Mais, étonnamment, jamais son premier livre et recueil de dessins, All in Line, publié en 1945 aux USA, n’avait été édité en français.
Un recueil pourtant superbe, reprenant des dessins effectués alors que, Juif ashkénaze, Steinberg fuyait l’Europe fasciste, ou croqués à travers le monde lorsqu’il servait dans l’OSS pendant la guerre, en Inde, en Chine, en Afrique du Nord ou en Italie. Un Steinberg encore jeune mais qui trouve peu à peu son ton entre humanisme, ironie et affection, à l’image de ce dessin de couverture montrant un dessinateur à l’œil rond se dessiner lui-même à la plume et à l’encre de Chine. Bref, une merveille, et un affront réparé par La Table Tonde, qui édite enfin, et de bien belle manière, ce Tous en ligne déjà indispensable pour tous les amateurs de dessins.
Contemporain: Fabienne
D’Anouk Ricard. Editions Exemplaire, 96 pages, 18 euros.

Francis, Fabienne et Objecto sont de retour, et c’est une très (très) bonne nouvelle! Francis, aka Animan, qui peut se transformer en n’importe quel animal, Fabienne, sa compagne qui est devenue une grenouille, et Objecto, l’ennemi juré, capable, lui, de se transformer en n’importe quel objet, tous déjà vus dans Animan, dont ce Fabienne est la suite, mais en rien un copié-collé! Car si Anouk Ricard, Grand Prix du festival d’Angoulême qui n’aura pas lieu, y garde évidemment son esthétique naïve et son goût des dialogues savoureux et aussi décalés que ses personnages, le ton, cette fois, n’est plus à la totale gaudriole. On y suit, jusque dans son carnet intime, les états d’âme de Fabienne et les origines de son étrange condition, entre ennui, frustration et dépression. Un tome plus sobre, peut-être plus profond voire plus intime, mais toujours publié chez Exemplaire.
Tout public : Le Château des animaux – T. 4: Le Sang du roi
De Félix Delep et Xavier Dorison. Editions Casterman, 96 pages, 19,95 euros.

La désobéissance civile expliquée aux ados, mais de quelle belle manière! Le dessinateur Félix Delep et le scénariste Xavier Dorison bouclent ici leur magistrale réinterprétation du classique d’Orwell Animal Farm (1945), avec une ferme devenue château dans lequel règne le cruel taureau Silvio et sa milice de chiens. Une dictature en passe, enfin, d’être renversée par le Mouvement des Marguerites, mené par une chatte, un vieux rat et un lapin malin, lesquels se refusent à toute violence… Si le propos est remarquable, le dessin l’est encore plus: ce récit animalier semi-réaliste voire réaliste est d’une ébouriffante beauté graphique, Xavier Delep insufflant une incroyable humanité à son cheptel, qui vous serrera le cœur, bien au-delà du discours politique.
Patrimoine: Dessus-Dessous, l’intégrale 1903-1905
De Gustave Verbeek. Editions Delcourt, 88 pages, 26,90 euros.

Une image qui peut se lire dans un sens et dans l’autre, en la retournant à 180 degrés, ce n’est déjà pas simple à réaliser. Le faire avec six vignettes formant un double strip et une histoire qui commence dans un sens, et se finit dans l’autre, tient de l’exploit. Que dire alors de l’auteur qui réalisa ce petit miracle de dessin et d’imagination chaque semaine, pendant des mois? Ce fut le cas de Gustave Verbeek il y a 120 ans dans les pages du New York Herald! Cet artiste américain, né au Japon en 1867 d’un père néerlandais missionnaire et formé au dessin en France, mérite vraiment, plus que bien d’autres, le titre de pionnier, ainsi que son propre livre-objet à très haute valeur patrimoniale qu’est ce Dessus-Dessous, reprenant l’intégralité de ses Upside-Downs publiés au début du XXe siècle.
Cartoon: Signé Coco
De Coco. Editions Les Arènes BD, 352 pages, 28 euros.

Première femme à dessiner sur l’actualité pour un quotidien national, à savoir Libération, où elle remplaça Willem, Coco a imposé en quelques années dans les esprits et les rétines sa verve, sa férocité et son esprit libertaire, nourris à la tragédie et l’attentat de Charlie Hebdo, dont elle réchappa de peu. On retrouve ici plus de 500 dessins réalisés sur les quatre dernières années, non seulement pour Libé ou Charlie Hebdo, mais aussi pour l’émission, 28 minutes sur Arte. Un best of de ses dessins parfois devenus célèbres, qu’elle accompagne d’inédits et de quelques récits dessinés pour en parcourir les coulisses. Un trait à vif et plein de vie qui propose, aussi, un magnifique résumé de ces années un peu folles et anxiogènes, entre crise du climat, Musk, Trump, Ukraine et MeToo.