L’employé du moi fête ses 25 ans avec une expo au Centre belge de la bande dessinée

L’emploi du moi s’expose au Centre Belge de la Bande Dessinée pour célébrer ses 25 ans.
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le collectif et éditeur bruxellois L’employé du moi fête ses 25 ans d’existence avec une exposition très réussie au Centre belge de la bande dessinée, relançant la réflexion sur sa ligne éditoriale.

Un mélange, chaque fois différent, d’intime, de genre, d’adolescence et de politique. C’est ainsi qu’au terme de l’exposition qui lui est consacrée jusqu’en septembre à Bruxelles, on peut grossièrement définir la ligne éditoriale de L’employé du moi et de ses quelque 150 albums édités en 25 ans. C’est en effet au tournant du siècle que des étudiants de l’ERG –David Libens, Cédric Manche, Bert, vite rejoints par Sasha Goerg, Max de Radiguès et Stéphane Noël– se mettaient aux fanzines et créaient Spon, qui connaîtra 47 numéros, avant de créer en 2000 l’asbl L’employé du moi, qui fait partie aujourd’hui des éditeurs dits «alternatifs», mais qui comptent, entre FRMK, 6 Pieds sous Terre, Cornelius, 2042 ou L’Association.

«Notre rôle consiste toujours à aller dénicher les endroits où cette altérité peut encore s’exprimer.»

La maison bruxelloise est dédiée aux origines à l’autobiographie et à l’autofiction, d’où son nom, mais a rapidement élargi sa sphère d’intérêts et de publications, avec des livres et des auteurs certes très contemporains mais toujours attachés aux notions de narration et de récit, «en opposition amicale au FRMK, qui suit plutôt une ligne plastique, esthétique et d’expérimentation», précise Matthias Rozes, membre du collectif depuis près de quinze ans et cocommissaire de cette exposition qui met un peu de modernité dans un Centre belge de la bande dessinée souvent beaucoup plus conventionnel. «Il aurait été facile de faire une expo rétrospective, comme nous l’avons déjà fait il y a dix ans à Angoulême, mais on a voulu en faire quelque chose de plus réflexif, pour nous aussi, en pointant quatre lignes de force éditoriales, et même si la plupart de nos publications ne peuvent être cantonnées à une seule d’entre elles.»

Vue de l’expo.

D’où cette notion de ping-pong qui se retrouve dans le titre de l’expo (Ping-Pong Club) et de leur nouvelle collection (lire par ailleurs), et qui s’incarne parfaitement dans la centaine d’originaux et d’exemples exposés: intimité et coming of age dans Sentimental Kiss de Camille Van Hoof; politique et récit d’horreur dans Cauchemar de Pierre Ferrero, intimité et récit de genre dans Les Contes de la mansarde d’Iris Pouy et Elizabeth Holleville, mais aussi des planches de Max de Radiguès, Noah Van Sciver, Ulli Lust, Thomas Gosselin, Jordan Crane, Pierre Maurel… qui tous partagent ce goût pour l’adolescence, l’intime, le genre ou le politique. «C’est au cœur de ce dialogue au sein des œuvres que se nichent la complexité et la singularité que nous recherchons en tant qu’éditeur», poursuit Matthias Rozes.

D’autres lignes de force, graphiques cette fois, se font alors jour, même si elles sont là aussi difficiles à exprimer ou définir en mots. Matthias Rozes s’y essaie: «Il y a 25 ans, il s’agissait de se positionner face à la « BD de papa », faire autre chose que du Largo Winch ou du Tintin, faire des livres qui ne s’adressent pas qu’aux enfants, qui ne tiennent pas que du divertissement…. Aujourd’hui, j’ai presque l’impression qu’on se positionne, consciemment ou non, contre les tenants du roman graphique, qui est devenu la nouvelle « BD de papa »! Aujourd’hui, l’alternatif a fait académie. Mais notre rôle consiste toujours à aller dénicher les endroits où cette altérité peut encore s’exprimer.» Autre évolution marquante et évidente ici, après avoir regardé et souvent admiré les planches de Helena Baumeister, Aisha Franz, Julie Michelin, Valentine Gallardo ou Lisa Blumen: une vraie envie d’inclusion qui atteint aujourd’hui la quasi-parité entre auteurs et autrices.


Reste la réalité d’une maison d’édition indépendante qui chasse autre chose que le «mainstream» et ces «papas» friands d’une BD classique, académique, voire conservatrice –«Il y a encore des gens qui ouvrent nos bouquins en disant « c’est mal dessiné ».» Si le collectif compte aujourd’hui six membres permanents, un seul d’entre eux est salarié (depuis peu), et les autres, tous profs, libraires, auteurs ou graphistes, sont bénévoles à L’employé. Une précarité qui n’a pas empêché la structure de se professionnaliser, mais qui la rend très sensible aux subventions et aides d’Etat. «Nous n’en sommes pas tributaires, mais sans les aides de la Fédération Wallonie-Bruxelles, on ferait évidemment moins de livres. Là, on sort d’un conventionnement qui devait être indexé et prévu sur cinq ans, mais qui a finalement fait l’objet d’un renouvellement d’un an. On ne sait pas encore à quelle sauce on sera mangé. L’édition, surtout alternative, reste un sacerdoce.»

Ping-Pong Club – les 25 ans de L’employé du moi, jusqu’au 14 septembre au Centre Belge de la Bande Dessinée, à Bruxelles.

25 ans en trois livres

NOUVEAUTÉ
Du pain blanc et du chocolat
de Pascal Matthey

Le dernier ouvrage du Genevois devenu libraire spécialisé à Bruxelles –ses planches, dont on oublie qu’elles sont réalisées au crayon tant elles paraissent réalistes, ouvre l’exposition des 25 ans de L’employé– incarne parfaitement l’ADN autobiographique et intime de la maison d’édition. Pascal Matthey y fait le récit, très audacieux narrativement, de sa propre jeunesse, plutôt dorée, confrontée à celle de son grand-père, enrôlé de force dans la Wehrmacht en 1945. Ce quatrième album de l’auteur à L’employé du moi incarne une autre ligne de force: une fidélité de la maison aux auteurs «qui font le choix d’être publié par une petite structure indépendante, et donc le choix d’une certaine liberté dans le ton et les thèmes abordés».



RÉÉDITION
Monsters
de Ken Dahl

Un quart de siècle d’existence, ça signifie aussi posséder dans son catalogue des titres parfois épuisés depuis longtemps. L’employé leur donne aujourd’hui une nouvelle vie grâce à sa nouvelle collection Ping-Pong, identifiable à sa maquette et à ses prix parfois plus abordables. Si Ping-Pong s’ouvre avec la réédition de The End of the Fucking World de Charles Forsman, on retient surtout le retour du Monsters de Ken Dahl, petit bijou quasi culte autour de l’herpès que l’auteur a transmis à sa compagne… Deux titres qui incarnent, eux, le sillon américain et toujours alternatif de L’employé, qu’il doit en grande partie au séjour de Max de Radiguès aux USA, et dans lequel on retrouve aussi Noah Van Sciver, Jordan Crane ou John Porcellino. Que du bon.



L’EMPLOYÉE
Astra Nova
de Lisa Blumen

On aurait sans doute dû citer le fantastique Fante Bukowski de Noah Van Sciver ou le non moins merveilleux Soleil des mages de Mortis Ghost dans nos albums préférés parmi les 150 de L’employé, mais s’il ne devait en rester qu’un, sans doute serait-ce Astra nova de Lisa Blumen, paru il y a deux ans (avec pas loin, Eksploracja de Julie Michelin!). Soit un pur récit de genre et de SF qui soudain s’ouvre à de nouveaux imaginaires et à de nouvelles manières de les aborder. Lisa Blumen est une des autrices qui peuvent désormais revendiquer le terme d’«Employée du moi» en couverture de leur album. Un souci d’inclusion qui donne surtout naissance à de foutus bons livres. Lisa Blumen revient dans quelques semaines, évidemment à l’Employé, avec son nouveau récit, Sangliers. Hâte!







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