Le western par la BD: du « genre hyper viriliste » aux « ingrédients woke »
Le mythe du cow-boy a du plomb dans l’aile: si le western reste un genre particulièrement exploré par la BD francophone, son virilisme exacerbé n’est plus de mise. À l’image entre autres de La Femme à l’étoile, qui tord le cou à bien des clichés du genre.
John Wayne doit se retourner dans sa tombe: dans les BD western d’aujourd’hui, les “vrais mâles” n’ont plus la cote. En tout cas, dans la BD francophone, particulièrement friande du genre et des “Westerners”, ces “hommes de l’Ouest” censés incarner le mythe américain -une Amérique blanche et masculine, privée par sa jeune Histoire de mythes anciens fondateurs, et qui a donc fait de la conquête de l’Ouest sa propre mythologie.
Une mythologie qui, jusqu’ici, se distinguait par son masculinisme exacerbé et l’omnipotence de l’homme blanc, telle qu’elle fut forgée dès le début du XXe siècle par les “dime novels” puis le cinéma hollywoodien. Et ce, même si “25% des cow-boys étaient en réalité des Afro-Américains et 15 à 18% des Mexicains”, explique ainsi le scénariste Philippe Pelaez, dans le dossier qui clôt le premier tome de Six (lire par ailleurs), un western qui s’est choisi comme personnages principaux… une nonne, un esclave noir, un Indien, un jeune borgne et une prostituée! “Le cow-boy est devenu un fantasme collectif, l’idéalisation du héros typique américain: impétueux, courageux, autodidacte, libre, menant une vie d’aventures et de frissons, en harmonie totale avec la nature.”
Les femmes, elles, bien que très présentes dès le début du “storytelling” entourant l’Ouest sauvage, “sont d’abord cantonnées aux rôles d’épouse fidèle et de mère respectable, de jeune fille vertueuse, ou de “filles de saloon” (…) La femme est ici semblable aux héroïnes des romans de Chrétien de Troyes et de la geste arthurienne: menacée, désemparée, elle a pour rôle de mettre en valeur la masculinité et le courage du cow-boy qui vole à son secours.” Mais ça, c’était avant que la fièvre de la déconstruction et des récits dégenrés ne s’empare elle aussi du western, “un genre hyper viriliste”, confirme pour sa part Anthony Pastor, auteur de l’imposant one-shot La Femme à l’étoile. “Mais justement! Quoi de mieux que de soulever des sujets féministes à l’endroit où c’est plus le patriarcal!” Dont acte.
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Western en BD: quelques ingrédients “woke”
Dans son nouveau récit, Anthony Pastor met en scène dans un village abandonné assailli par la neige et le froid deux fugitifs qui se rencontrent alors qu’ils cherchaient une planque où se faire oublier. L’hostilité et la méfiance des premiers temps laissent peu à peu place à la curiosité puis à la complicité, lorsqu’ils affrontent ensemble les marshalls venus les capturer. Un petit air de Butch Cassidy et le Kid, mais dans lequel c’est une Femme à l’étoile qui porte la culotte, et prend sous sa protection un cow-boy dépouillé de tous ses clichés! “Ici, je voulais vraiment sortir des canons”, explique l’auteur qui avait envie, après No War, son ambitieuse minisérie contemporaine, “d’une histoire simple, que je prendrais le temps de raconter”. Il redécouvre alors toute la littérature western portée par de grands auteurs US dans les années 50 et 60, réédités sur le tard par des éditeurs francophones tels Gallmeister ou Actes Sud, “et qui te montrent un western pas fait de clichés ou édulcoré, et qui n’est plus traité comme un sous-genre”.
Et comprend alors qu’il est prêt à s’y attaquer sans rien lâcher de sa propre réflexion portée sur la déconstruction. “Mon “héros” est plus un anti-héros qu’un cow-boy, c’est Johnny Depp dans Dead Man. J’avais envie d’attaquer un western qui parle de sujets contemporains. Beaucoup de nouveaux westerns ont en eux quelques ingrédients “woke”, mais ça ne veut pas dire qu’on s’attaque vraiment à ces sujets-là. Moi, ils me travaillent depuis longtemps; dans Las Rosas, un de mes premiers récits il y a dix ans, je mettais déjà en scène un village de femmes à la frontière mexicaine, puis, avec Le Sentier des Reines et La Vallée du Diable, des récits très féministes aussi, mais que je racontais encore du point de vue d’un homme, j’utilisais les codes du western en bande dessinée, jusque dans la couverture et la typographie. Je crois que je retardais le moment de m’y mettre vraiment, de m’en sentir capable. Dans la BD francophone, depuis Giraud et Blueberry, il y a une grande tradition du genre, et la barre est très haute. Mais la BD a changé: il y a beaucoup plus d’autrices, y compris dans le western, et moi-même, j’avais envie de parler d’un homme “déconstruit” qui épouse la cause des femmes, d’un homme qui ne veut pas aller dans l’ordre patriarcal. Quelque chose de plus personnel. De plus intime aussi.”
Anthony Pastor, par contre, ne s’étonne pas de voir toujours autant d’albums de BD francophones user d’un genre et d’une mythologie qui pourtant ne sont pas les nôtres: “Moi qui ai longtemps évolué dans le genre du polar, je me suis rendu compte qu’il s’agissait là d’un genre tenant plus de la littérature que de la bande dessinée, au contraire du western, particulièrement pictural: les paysages, les chevaux, les grandes espaces, des personnages très typés, et puis cette violence intrinsèque au genre, parfois très frontale… Pour un dessinateur, c’est bien plus jouissif à faire!”
La Femme à l’étoile, d’Anthony Pastor, éditions Casterman, 264 pages.
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