Critique | BD

«La Dent»: la BD qui raconte Lumumba

La Dent, de Nicolas Pitz et Pierre Lecrenier, revient sur le parcours de Patrice Lumumba, figure majeure de la décolonisation africaine.
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

La Dent – La décolonisation selon Lumumba

de Nicolas Pitz et Pierre Lecrenier. Editions Glénat, 144 pages.

La cote de Focus: 3,5/5

Avec La Dent, les Bruxellois Nicolas Pitz et Pierre Lecrenier reviennent avec fluidité sur le parcours et la pensée d’une figure majeure de la décolonisation africaine. Il était sans doute temps.

La séquence qui ouvre leur album consacré à la vie et à la pensée de Patrice Lumumba, premier Premier ministre du Congo indépendant, assassiné en 1961, est un vrai souvenir, glaçant, qu’ils partageaient tous les deux: en 2001, dans une émission de la VRT, le mercenaire belge Gérard Soete se vantait d’avoir «découpé Lumumba» et gardé, après avoir jeté ses restes au feu, deux de ses dents, qu’il exhiba sur le plateau. «Ça ressemblait à un numéro de Strip-Tease, ce type si fier de lui, de son trophée, dans une totale immunité, se souvient Nicolas Pitz, scénariste de cette Dent dont il a confié le dessin à son voisin de table de l’Atelier Mille, Pierre Lecrenier. Quelque chose de tragi-comique et d’atroce à la fois. Quand il a été question de se lancer dans ce biopic, on s’est tout de suite dit que ce serait une bonne accroche.»

C’est que les deux hommes partagent une histoire commune en plus d’un atelier: tous les deux ont des parents et des grands-parents qui ont connu et vécu au Congo alors belge, et «pour qui, si Lumumba était un symbole, c’était le symbole de la fin». «Avec mes parents, qui sont nés là-bas, c’était l’omerta, poursuit le scénariste, qui avait déjà consacré son premier album au sujet (Les Jardins du Congo,  2013, La Boîte à Bulles). On ne répondait pas à mes questions, je voyais bien que c’était une souffrance. A l’école, pareil, on n’en parlait pas. Je crois qu’aujourd’hui encore, il n’y a qu’un cours là-dessus, alors que c’est un élément fondamental de notre propre histoire coloniale, mais que peu de gamins ou de jeunes adultes connaissent.» Pierre Lecrenier confirme: «J’ai accepté de me lancer là-dedans en me rendant compte que mes propres enfants n’en avaient rien appris, que beaucoup de jeunes et de moins jeunes ne connaissent pas notre propre rapport à l’Afrique ou au Moyen-Orient. J’en entends dire: « On n’a rien à voir avec ça. » Ben si!»

Dont acte: La Dent revient donc, avec une étonnante fluidité, sur le parcours de cet «évolué» –comme on appelait à l’époque coloniale les Africains «européanisés» et assimilés– dont la pensée panafricaine et indépendantiste s’est au contraire forgée petit à petit, au contact des injustices sociales et humaines induites par la colonisation. Un récit «où tout est vrai» et sans vaines polémiques, ni sur sa mort («On ne voulait pas tomber dans le sordide ni rentrer dans les détails») ni sur l’éventuel procès en réappropriation culturelle que des plus woke qu’eux pourraient leur faire. «Avant d’être Blancs, on est belges, et c’est une histoire belge. Même les Lumumbistes que l’on a contactés étaient d’accord: il fallait raconter son histoire.»

Olivier Van Vaerenbergh

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