L’Employé du Moi poursuit la publication des comics de Noah Van Sciver. Une oeuvre hétéroclite, riche en récits autobiographiques tragi-comiques.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire en regardant sa bio et sa production -un nombre incalculable de fanzines, d’autopublications et de récits indés, tant dans la fiction, le récit historique ou, évidemment, autobiographique-, Noah Van Sciver n’a pas toujours été dessinateur de comics. En 2004, à 20 ans, alors qu’il s’installait dans la banlieue de Denver avec un ami skater et travaillait dans un Barnes & Noble (qui vendait du café Starbucks mais n’en n’acceptait pas les bons de réduction, gag récurrent de ce récit-ci), le jeune artiste se voyait peintre. Et pas n’importe lequel: « Je veux être le plus célèbre peintre de Lakewood. (…) Lorsque j’aurai atteint le triste âge de 30 ans, je pourrais déjà être reconnu comme le plus grand peintre de tous les temps! » Et tant pis s’il n’a pas beaucoup de talent, aucune inspiration, et ne peint pas encore « comme un tuberculeux français« : « Je pense que je pourrais arriver à faire quelque chose de plus ou moins acceptable si seulement je pouvais me planquer derrière une mouvance artistique… » On ne sait de quel mouvance se rapprochait sa série de tableaux représentant « des célébrités avec des oiseaux, sur eux ou à coté d’eux« , de Will Smith à Bob Dylan. Seule certitude: même la bibliothèque du coin qui expose des artistes locaux pour les soutenir n’en voudra pas! Un trauma qui sonnera le glas de sa carrière de peintre, pour laquelle il aura même sacrifié sa passion de skater, mais qui le lancera par après dans le comics, et dans la création du génial personnage de Fante Bukowski, un écrivain raté dont on comprend aujourd’hui d’où lui venait une part de l’inspiration -et qui fera l’objet ce mois-ci aussi d’une édition intégrale reprenant les trois volumes parus à L’Employé du moi de 2015 à 2019.
Art, skate et amitié
Avant la sortie de ce bel objet réunissant ce qui est aujourd’hui son oeuvre phare en français -et en attendant la traduction de son énorme biographie de Joseph Smith, fondateur de l’église mormone dont ses parents faisaient partie-, on se délectera donc de ce 52 pages pas cher (7 euros) et proche du « vrai » format comics, dans lequel cet auteur fétiche de la BD indé américaine et contemporaine déploie ce qu’il sait faire de mieux: se moquer de lui, tout en décrivant comme personne la réalité quotidienne et désenchantée des jeunes intello-précaires américains. Pour l’amour de l’art devient alors « une histoire vraie sur l’art, le skate et la fin d’une amitié » comme lui seul en raconte. À conserver aux cotés de Mon aventure torride, autre récit purement autobiographique paru l’année dernière, et lui aussi bourré d’auto-ironie, aussi douloureuse pour lui que savoureuse pour nous.
Pour l’amour de l’art, autobiographie de Noah Van Sciver, Éditions L’Employé du moi, 52 pages. ***(*)
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