Critique | BD

La BD de la semaine: Libres d’obéir, à lire pour comprendre le salut nazi d’Elon Musk

Libres d’obéir, l’adaptation en BD de l’essai très remarqué de l’historien Johann Chapoutot.
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le salut nazi d’Elon Musk n’aura étonné que ceux qui n’avaient pas lu Libres d’obéir, désormais complété, plus qu’adapté, en BD. Le management moderne est consubstantiel au nazisme.

Libres d’obéirde Johann Chapoutot et Philippe Girard

Editions Casterman, 136 pages.

La cote de Focus: 4/5

Tout est dans le titre. Le «management par délégation de responsabilité», ou «management délégatif», est une théorie d’organisation et de gestion dans les sociétés qui structurent depuis des décennies notre économie capitaliste. Elle instaure une collaboration «libre» entre un subalterne et son supérieur, «où le subordonné est bien libre de calculer les moyens d’une fin qu’il n’a pas définie», explique l’historien français Johann Chapoutot. Le supérieur n’a qu’à contrôler, évaluer et attribuer, le cas échéant, la responsabilité de l’échec de la mission au subalterne. Car la «délégation de responsabilité est aussi une délégation de la culpabilité». Une théorie managériale devenue très concrète, tout comme le «management par la joie» qui a instauré les after works, ou cette notion, glaçante quand on s’y arrête, de «ressources humaines», qui réduit les individus à des ressources à gérer, «au même titre que les matières premières ou les machines». Trois exemples de management moderne qui trouvent, tous, leurs origines dans le nazisme.

Cette vérité historique a été remise en lumière il y a cinq ans dans l’essai très remarqué Libres d’obéir, qui éclairait d’un jour nouveau et vertigineux non seulement l’actuel désœuvrement et la perte de sens qui règnent dans les entreprises, entre suicides et épidémies de burn-out, mais aussi à quel point les grandes entreprises modernes sont solubles dans l’extrême droite, voire le fascisme, comme on le voit de l’autre côté de l’Atlantique. Et comme on peut le (re)lire dans cette adaptation en bande dessinée du Québécois Philippe Girard, qui use de toute sa science de la narration et de l’iconographie pour enfoncer le clou et (re)passer le message.

«Un complément plus qu’une adaptation»: l’auteur de Léonard Cohen. Sur un fil (Caterman 2021) ou Le Prince des oiseaux de haut vol (La Pastèque, 2024) ne s’est en effet pas contenté de mettre en dessin la démonstration de Chapoutot; Philippe Girard y intègre d’abord le récit de Florence, cadre dans une grande entreprise californienne de la tech, un rêve qui se transformera, de chapitre en chapitre –et avec à chaque fois, tout un symbole, une couleur en moins– en effondrement. Une «vraie» fiction, fluide, entrecoupée par le contenu parfois rugueux et scolaire de l’essai de Chapoutot, mais pour lequel Philippe Girard détourne cette fois l’imagerie, l’esthétique et l’iconographie nazie. Des images et un contenu alors soudain encore plus forts et marquants, à l’image de la couverture qui évoque à la fois une swastika et une roue de hamster, et qui là aussi, comme son titre, en dit beaucoup sans rien nommer.

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