Moi, Gombrowicz suit avec une chronologie rigoureuse l’existence mouvementée d’un des grands auteurs polonais du XXe siècle.
Moi, Gombrowicz
D’Andrzej Wolski et Wozniak. Editions Denoël Graphic, 240 pages.
La cote de Focus: 4/5
Voilà un livre qui ne ressemble à rien d’autre, si ce n’est peut-être à son sujet: Witold Gombrowicz, né en 1904, mort en 1969, l’enfant terrible des lettres polonaises, considéré par beaucoup comme l’un des grands auteurs, polonais ou non, de la littérature du XXe siècle, avec des livres drôles, profonds et libertaires comme Ferdydurke, Bakakaï, Les Envoûtés ou La Pornographie, mais aussi et surtout son énorme Journal qu’il tint quotidiennement jusqu’à sa mort, avec lui-même pour principal sujet. L’œuvre d’une vie dans tous les sens du terme, existentialiste avant l’heure, foncièrement antinationaliste et drôlement féroce –preuve du bon goût de cet artiste hors norme qui disait haïr la littérature–, il sera mis à l’index autant par les nazis que par les communistes, lui qui vécut 23 très longues années en exil en Argentine.
Bref, un personnage, un monstre de la littérature et un témoin de son temps dont la veuve, dévouée à son œuvre, rêvait depuis très longtemps d’un Witold en bande dessinée. Elle a obtenu mieux que ça avec ce Moi, Gombrowicz, qui mêle avec une étonnante fluidité et une forme rarement, voire jamais, vue une chronologie rigoureuse, des textes parfois très fictionnalisés du documentaliste Andrzej Wolski, des extraits du Journal de Gombrowicz lui-même et surtout, surtout, de grandes illustrations de Wozniak, au sommet de son art lui aussi très singulier. L’illustrateur, peintre et caricaturiste polonais, qui dut lui-même s’exiler à Paris, est depuis des décennies et, entre autres, une plume reconnaissable entre mille du Canard enchaîné, quand il ne promène pas ses personnages filiformes dans l’univers de la musique –on garde ainsi précieusement son Sibérie m’était contée, livre/CD et culte réalisé avec Manu Chao en 2004. Jacek Wozniak s’offre ici un espace de création d’une ébouriffante liberté, avec des centaines de dessins hauts en couleur et en formats, qui dictent deux impératifs au sortir de ce Moi, Gombrowicz: redécouvrir les livres de cet auteur qui rappelait Rabelais, mouchait Sartre mais annonçait Houellebecq, et ne pas rater l’exposition des dessins originaux de Wozniak qui devrait se tenir à la prochaine Foire du livre de Bruxelles.
O.V.V.