Le jeune prodige Timothé Le Boucher se lance dans un énorme roman graphique en deux parties, mêlant fantastique, étude de moeurs et identité sexuelle. So 2021.
Ambroise, jeune harpiste renfrogné qui ne parvient à exprimer ses sentiments intérieurs que dans les mangas qu’il gribouille dans son carnet, ne se rend pas compte qu’il est entouré de très nombreuses femmes depuis sa rencontre, troublante, avec une rousse incendiaire alors qu’il se baignait. Ambroise s’est aussi fait un nouvel ami dans sa salle d’escalade. Ça fait soudain beaucoup de monde autour de ce jeune homme aussi beau que solitaire, sans oublier sa soeur dont il intègre l’orchestre, déchiré entre deux bandes, les Quotas et les Zodiaques, plus dérangés et malaisants les uns que les autres. Du monde, et pourtant presque personne, si ce n’est un métamorphe, une créature capable de prendre toutes les apparences humaines qu’elle souhaite, et qui ne veut qu’une chose: séduire Ambroise, et en faire sa chose. En se faisant passer par exemple pour une célèbre et plantureuse cantatrice, qui va lancer 47 défis psycho-socio-sado-maso à Ambroise afin qu’il récupère les 47 cordes de la harpe de ses rêves. Le tout dans un récit qui devrait s’étaler sur deux tomes et près de 800 pages.
Entre Rohmer et The Thing
Conte fantastique, récit d’initiation sociétal et sexuel, thriller psychologique, drame bourgeois, délire érotique, shonen français… Impossible de réduire ce troisième grand roman graphique de Timothé Le Boucher aux éditions Glénat (après le phénoménal Ces jours qui disparaissent et l’hitchcockien Le Patient) à une case, tant le gaillard aime exploser les codes et les genres, et se lancer dans des projets aussi ambitieux que sans comparaison. Pour situer, ce 47 cordes, c’est un peu comme si Éric Rohmer se chargeait d’un remake de The Thing, avec un soupçon de Eyes Wide Shut glissé en plein milieu! Une véritable symphonie de références et de sources a priori incompatibles que le trentenaire mixe avec une étonnante aisance et surtout une énorme lisibilité -facilitée il est vrai par les centaines de pages mises à disposition pour déployer son récit aux strates aussi multiples que les cordes qui lui donnent son titre. On peut bien sûr rester à quai de ce récit très bourgeois, un peu pédant et très générationnel, mais on ne peut qu’admirer le sens de la narration, l’inventivité et la modernité de son auteur, nourri de shonen et de personnages à la psyché complexe. Il s’impose en tout cas en cette fin d’année comme le roman graphique tout à fait représentatif de son époque et de son moment en BD, entre gentrification et remise en cause des représentations genrées.
47 cordes: première partie
Roman graphique de Timothé Le Boucher, éditions Glénat, 384 pages. ***(*)
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