GariGari de Hugues Micol, une claque graphique, sans un mot

Radical, libre et… muet: GariGari, de Hugues Micol est un roman graphique qui se "lit" en deux temps.
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

La claque graphique du mois, voire de l’année, revient à Hugues Micol: GariGari se veut une «récréation japoniste» totalement libre et radicale, mais surtout sans un mot. Attention les yeux.

C’est le genre de livre qui vous saisit en deux temps. Le premier est organique, immédiat, et vous empêche presque de lire ce roman graphique, au sens premier du terme. D’abord on le regarde, on le feuillette, on s’arrête sur des planches, des cases, sans comprendre mais béat d’admiration. Hugues Micol a créé ici près de 180 planches dessinées entièrement et uniquement à la plume et à l’encre de Chine. Des cases grattées, expressives, plongeant dans un Japon médiéval et fantastique, aux cadrages saisissants, remplies de créatures étranges –grenouilles géantes, poissons mutants, yôkai anthropomorphes–, de ninjas et d’armées prêtes à en découdre. Le tout avec l’énergie du crayonné mais la précision de la plume, pour des images qui toutes méritent qu’on s’y arrête.

Vient alors et seulement le deuxième temps, celui de la lecture et de la narration: alors que la guerre menace entre deux clans, un jeune ninja est missionné pour s’emparer, dans le camp adverse, d’une flèche. Une flèche à l’origine de la guerre qui s’annonce mais qui pourrait aussi mettre un terme à ce conflit, fantastique à tout point de vue. Un récit ample, complexe, certes débordant d’action et qui aime perdre son lecteur dans de multiples digressions, mais décliné sans le moindre mot, si ce n’est le titre. Ce titre, Hugues Micol ne nous l’expliquera pas: «J’aime les bandes dessinées et les récits où l’on peut ne pas tout comprendre, qui vous laissent un sentiment étrange. Des atmosphères, comme dans les films de David Lynch. Et ça se prêtait bien à cette réinvention et à ma vision de la culture japonaise. Surtout qu’ici, il n’y a vraiment que le plaisir.»

«J’aime les bande dessinées et les récits où l’on peut ne pas tout comprendre, qui vous laissent un sentiment étrange.»
Hugues Micol

Voir de très près

L’aventure de GariGari est née parce que Hugues Micol avait «un peu de temps, et surtout, parce que j’ai mis des lunettes! Avec ce plaisir de revoir convenablement de très près, j’ai eu envie de ressayer la plume, et j’ai commencé à gratter. C’est comme ça que la BD est venue. J’avais envie de dessin, de la joie du dessin, de la recherche, de la difficulté. Pour vous dire, j’ai dessiné quantité de chevaux, mais en plus vus du dessous! J’ai aussi pris le temps de réfléchir aux cadrages, aux rigoles, aux possibilités d’une planche. J’en avais un peu marre des gaufriers et de toutes ces BD du réel où ce qui compte c’est le sujet, la matière, en délaissant parfois la manière.»

Le Français ne crache pas pour autant dans la soupe. Lui aussi en a tâté, et même récemment, avec Black-out et avec l’écrivaine Loo Hui Phang, qui revisitait le mythe hollywoodien sous l’angle des minorités. «Mais je suis un peu comme Clint Eastwood, qui aime enchaîner un film de studio et un film plus personnel.»

GariGari tient donc clairement du «film plus personnel», comme souvent quand il publie chez Cornélius (Séquelles en 2008, Tumultes en 2015), et de la parfaite fusion de deux de ses passions: «Cette culture du chanbara (NDLR: les films de sabre et de samouraïs) et ce Japon féodal que j’ai pris un plaisir fou à réinventer, souvent de mémoire et sans doc, parce que j’en avais déjà bien bouffé avant.» Et puis, ce goût de la bande dessinée muette, point Godwin de la contrainte narrative, «parfaite pour apprendre, désapprendre et réapprendre le travail de narration inhérent à la bande dessinée. Une approche radicale, qui t’oblige à aller chercher loin les solutions, mais qui te donne aussi le goût du montage, comme au cinéma. Ici, j’ai balancé et coupé 60 pages, sans états d’âme, parce que le récit le demandait. En fait, GariGari tient presque de la BD réactionnaire: j’y fais tous les trucs qui ne sont plus trop possibles aujourd’hui ! (rires

GariGari

Roman graphique de Hugues Micol, éditions Cornelius. 184 pages.

La cote de Focus: 4/5

Sans un mot, le top 3

Smart Monkey (2004)

de Winshluss. Cornelius.

Hugues Micol cite spontanément Smart Monkey comme l’une des œuvres muettes à l’avoir consciemment ou non influencé en se lançant dans les 176 planches tout aussi muettes de son GariGari: «Ce livre m’a prouvé qu’on pouvait le faire, et que ça marche.» A savoir le récit darwinien d’un petit singe espiègle se sortant –mais jusque quand?– de tous les pièges que lui tend l’existence. Là aussi, un récit en noir et blanc baignant dans des atmosphères fantastiques et ouateuses.

Là où vont nos pères (2006)

de Shaun Tan. Dargaud.
Autre référence incontournable pour Micol, comme pour tout amateur de bande dessinée muette et de BD tout court: Là où vont nos pères reste aujourd’hui encore le seul roman graphique (et muet) de Shaun Tan, auteur australien d’origine asiatique, star de l’illustration, du livre pour enfants et de l’animation. Qui narre ici le parcours d’un migrant comme on ne l’avait jamais fait: avec autant de poésie que d’émotion, dans un monde totalement imaginaire et sépia, et, surtout, inoubliable dès qu’on l’a lu.

Petit Poilu T.31 – Gribouillis et Kraboutchat (2025)

de Céline Fraipont et Pierre Bailly. Dupuis.

Cette BD muette n’a cette fois rien, mais rien à voir avec GariGari si ce n’est ce plaisir et cette contrainte de raconter en dessins et sans mots, mais impossible de ne pas profiter de l’occasion pour citer le régional de l’étape, et la BD la plus jubilatoire du genre: depuis 2007 et désormais 31 albums, le duo liégeois formé de la scénariste Céline Fraipont et du dessinateur Pierre Bailly propose des bandes dessinées lisibles par les plus petits, mais que tout adulte avec un minimum de goût et d’humour appréciera autant. Avec, chaque fois, une leçon magistrale de narration en images.


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