
La BD de la semaine: La Terre Verte, des envolées lyriques et graphiques comme on en voit rarement
Dans La Terre Verte, l’infâme Richard III, dernier roi d’Angleterre de la maison d’York, a fui et embarqué pour le Groenland. Une épopée graphique époustouflante.
La Terre Verte
D’Alain Ayroles, Hervé Tanquerelle et Isabelle Merlet. Editions Delcourt, 256 pages.
La cote de Focus: 4,5/5
Août 1492. Une caravelle navigue, mais ce n’est pas celle de Colomb. Celle-ci, plus famélique, vogue vers le nord, en partance d’Angleterre, et est une des dernières à se rendre encore vers la Terre Verte –c’est ainsi qu’Erik le rouge avait baptisé le Groenland, une fake news pour attirer les colons. Mais ceux-ci ont depuis longtemps déserté les lieux en même temps que ses promesses de richesse. N’y survivent désormais que les ultimes descendants des Vikings, à bonne distance des Skraelings, qu’on appelle pas encore Inuits. «Un pays de misère», spectaculaire mais dont plus personne ne veut, si ce n’est peut-être l’évêque illuminé qui va y débarquer, et surtout l’étrange boiteux, puissant mais aussi un peu bossu, qui l’accompagne: messire Richard, pour l’instant incognito, mais qui n’est pas un inconnu.
Car dans La Terre Verte et l’implacable scénario shakespearien d’Alain Ayroles, l’infâme Richard III, dernier roi d’Angleterre de la maison d’York, n’est pas mort à la bataille de Bosworth. Cette personnification du Mal, comme le décrira 100 ans plus tard le grand William, cynique et assoiffé de pouvoir, a fui et embarqué pour le Groenland, plus que jamais mû par l’hubris: «Je veux cet onguent qui édulcore le supplice des âmes dolentes et redresse les corps contrefaits, ce sortilège qui rend l’immondice désirable et l’ordure majesté (…). Je veux ce qui fait s’entrechoquer les volontés, fer contre fer, front contre front, crâne à crâne. Je veux… le pouvoir!»
Démarre alors une quête insensée de puissance aux relents très contemporains, qui détruira tout sur son passage, mais offrira en chemin des envolées lyriques et graphiques comme on en lit et voit rarement en BD. Cet époustouflant roman graphique de 260 pages compte de fait une dream team à sa tête: Alain Ayroles, le scénariste des Indes fourbes et De cape et de crocs, connu pour son érudition, son langage châtié et son verbe littéraire; Hervé Tanquerelle, le dessinateur du Dernier Atlas, de Groenland vertigo et Des racontars arctiques, qui connaît les lieux mieux que beaucoup, et dont la ligne claire très expressive met à nouveau tout le monde au pas; et Isabelle Merlet, la seule coloriste traitée telle une autrice. Bref, un must have de l’année, à la hauteur de son prix (35 euros).
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