Critique | BD

Chumbo ou l’histoire en BD des années de plomb brésiliennes

4 / 5
© National

Matthias Lehmann, Casterman

Chumbo

368 pages

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© National
Colin Bouchat Journaliste BD

À travers une saga familiale, Matthias Lehmann signe Chumbo chez Casterman la chronique du XXe siècle d’un Brésil en proie à ses démons.

Colonialisme et Amérique sont intimement liés. Avec le débarquement des colons, le capitalisme a déferlé tel un rouleau compresseur sur l’ensemble du continent. Pour la gloire de ce modèle de société, tout soupçon de gauchisme doit être immédiatement éradiqué. C’est le prétexte qu’a invoqué plusieurs fois le Brésil durant le XXe siècle pour imposer un gouvernement de droite et même d’extrême droite pendant la dictature de 1964 à 1985. À travers la vie de deux frères issus d’une famille aisée, Chumbo fait la chronique du Brésil affrontant ses démons. Car la réalité sur le terrain est bien plus complexe que ce qu’on voudrait laisser croire. Si le pouvoir et la majeure partie de la richesse sont aux mains des Blancs, les relations interraciales et entre les différentes classes sociales sont beaucoup plus imbriquées qu’elles ne sont pour les États-Unis; ceux-ci ont réglé le “problème” il y a bien longtemps par un génocide du peuple autochtone. Or donc, Monsieur Wallace, riche propriétaire d’une mine, a deux garçons. Severino, l’aîné, mal dans sa peau, couvert de boutons, timide et pas très à l’aise dans ses rapports aux autres, voudrait embrasser la carrière de journaliste. Son cadet, Ramires, ne se pose pas de questions. Il fonce dans le sillon creusé par son père, dans le but d’amasser le plus de pognon possible. Il y a bien une mère et trois sœurs dans le tableau: la première ne sert que de faire-valoir pour étendre l’empire paternel, les autres sont destinées à devenir de bonnes épouses obéissantes.

Métal lourd

Chumbo signifie “plomb” en portugais. La référence avec les mines que possède le père est évidente, mais cela évoque surtout la toxicité du métal pour l’être humain et son environnement. L’analogie avec ses protagonistes torturés est aussi flagrante. Matthias Lehmann n’aime rien moins que de remuer la merde. Ce qui l’excite, c’est la part d’ombre qui sommeille en chacun de ses personnages, même les plus sympathiques. Il va trifouiller là où se terrent les contradictions et les faiblesses. C’est cru, chargé sexuellement et violent. Mais l’auteur évite aussi les effets de manche ou les points d’orgue racoleurs, préférant l’ellipse et comptant de ce fait sur l’intelligence du lecteur. Il est aidé dans sa tâche par un trait en noir et blanc dans lequel il est passé maître. Tantôt sombre, tantôt lumineux, le dessin se fait réaliste ou expressionniste afin de souligner et d’appuyer là où c’est nécessaire. L’auteur n’hésite pas également à exploser la planche. Il change de rythme en fonction du récit, libérant la page de tout cadre ou, au contraire, en multipliant les cases pour ralentir le récit. Chumbo s’inscrit dans la tradition sud-américaine des grandes sagas littéraires telles qu’écrites par Gabriel García Márquez, Roberto Bolaño ou, plus proche du genre, Gilberto Hernandez dans ses prolifiques chroniques de Palomar.

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