Dans sa nouvelle BD, Thomas Lavachery part sur les traces de son grand-père Henri

Dans Caballero bueno de Thomas Lavachery et Thomas Gilbert, on replonge en 1933 sur l’île de Pâques.
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Une pure fiction qui doit beaucoup au grand-père du scénariste: il en ramena une statue, toujours visible aujourd’hui.


En 1933, l’île de Pâques appartient au Chili depuis près d’un demi-siècle, mais laisse des compagnies anglaises exploiter la majeure partie de l’île, perdue dans l’océan Pacifique. Un caillou volcanique à peine plus grand que la région de Bruxelles-Capitale, aux abords de la Polynésie, mais rentré dans l’imaginaire collectif pour le millier de statues -les moai– parfois géantes et parfois à moitié enterrées, qui en jonchent le sol. Elles ont été réalisées par les Rapa Nui, l’ethnie autochtone, désormais parqués dans une réserve entourée de barbelés, et elle-même surveillée par les militaires chiliens.

C’est dans ce contexte, entre isolement du bout du monde, colonialisme encore primaire, pluies persistantes et décor ou lunaire ou tellement étrange, que débarque l’imposant voire obèse inspecteur Valverde, dépêché sur place à la demande même du président chilien, qui veut voir son meilleur élément résoudre ce mystère: quelques semaines plus tôt, un meurtre a été commis sur l’île. Un membre de la compagnie Williamson & Balfour a été sauvagement assassiné, et le coupable est encore forcément sur place. Se cacherait-il parmi les fonctionnaires anglais, les militaires chiliens, les autochtones en colère, voire les lépreux mourants? Commencent alors une enquête et un formidable récit, fictionnel, mais pas tant que ça.

Thomas Lavachery.


«L’île de Pâques, c’est un sujet que je connais très bien, et l’idée d’y inscrire un récit me revenait souvent. Toute mon enfance je n’ai entendu parler que d’elle», explique ainsi Thomas Lavachery, scénariste de ce Caballero Bueno plein de souffle et de vent , mais aussi petit-fils de Henri Lavachery, l’archéologue belge qui fit partie de l’expédition du Mercator en 1934… et qui ramena en Belgique, au Musée Art & Histoire du Cinquantenaire, non seulement une des cinq seules statues à avoir jamais quitté l’île (deux sont à New York, deux autres à Londres), mais aussi la plus ancienne jamais datée. «Ce récit m’a réellement habité, et si mon grand-père est décédé quand j’avais 6 ans à peine, j’ai suivi ses traces en entamant des études d’histoire de l’art. Lui-même avait raconté, dans un livre écrit en 1935, à son retour, ce fait réel: un meurtre commis sur l’île quelques années avant qu’il n’y débarque. Un crime rare et extraordinaire sous bien des aspects.»

Thomas Lavachery aurait donc pu choisir de faire de son grand-père et de cette mythique expédition le cœur de ce nouveau récit, alors plus proche d’une BD documentaire, pourtant très à la mode. Il a contraire préféré s’en inspirer pour s’en éloigner très vite, offrant une pure fiction –et un remarquable héros très singulier– à ce travail de mémoire particulièrement émouvant: les auteurs de Caballero Bueno présentaient cette semaine leur nouvel album au sain même du Musée Art & Histoire, à l’ombre de Pou Hakanononga, la statue ramenée par Henri Lavachery (lire ci-contre).

Entre Poirot et Poe


«J’avais déjà réalisé un documentaire et un livre sur l »expédition de mon grand-père, je ne voulais pas me répéter, poursuit Thomas Lavachery. Et puis ce personnage d’inspecteur Valverde s’est imposé à nous.» Thomas Gilbert confirme: «Il est né presque par hasard dans nos recherches et essais, mais est très vite devenu une évidence graphique, qui a tout de suite fonctionné.» Un fonctionnaire de police retors, hors norme, à la fois imposant et d’une étonnante légèreté, malin comme Hercule Poirot, mais hanté comme un personnage d’Edgar Allan Poe, luttant contre lui-même pour ne pas ingurgiter ce laudanum qu’il aime tant… Une addiction qui ne l’empêchera pas de faire la lumière sur ce meurtre dont on ne pourra rien dire pour ne pas divulgâcher, mais particulièrement historique et révélateur d’une époque et d’un lieu.

Un personnage si fort pour les auteurs que son nom s’est imposé en titre et en couverture, et qu’ils envisagent déjà de le remettre au travail dans un futur nouvel album qui, forcément, ne se passera plus sur l’île de Pâques –«On ne peut pas y prévoir d’autres crimes, c’est bien trop petit!»– mais leur permettra de naviguer dans cette époque et dans cette ambiance sud-américaine, tant géographique que littéraire, où le réalisme magique est toujours prêt à s’inviter dans l’intrigue. Ce Caballero Bueno hautement recommandable deviendra alors peut-être le début d’une série ou d’une minisérie au succès comparable à Bjorn Le Morphir, l’adaptation en BD du roman de Thomas Lavachery, qui fit les beaux premiers jours de l’éditeur Rue de Sèvres. Le grand-père aurait sans doute apprécié.

Caballero Bueno – Une enquête de l’inspecteur Valverde

De Thomas Gilbert et Thomas Lavachery. Editions Rue de Sèvres, 176 pages.

La cote de Focus: 4/5


Une expo au Musée Art & Histoire

Qu’on ne s’y trompe pas: si une énorme statue moai apparaît rapidement dans les couloirs du Musée Art & Histoire, celle-ci n’est «que» une copie de la statue la plus imposante encore présente sur l’île de Pâques. Il faut s’enfoncer plus avant dans les couloirs de ce musée fraîchement rénové pour y découvrir son vrai bijou: la véritable statue Pou Hakanononga, sculptée dans la roche volcanique, que Henri Lavachery ramena de son expédition en 1935.

«Une statue qui n’a pas été volée, mais bien offerte aux Belges par le gouvernement chilien et la population locale!», explique d’emblée Nicolas Cauwe, conservateur des collections de Préhistoire et d’Océanie dans ce musée du Cinquantenaire, à Bruxelles, et qui a lui-même effectué une vingtaine de missions archéologiques sur l’île de Pâques. Un conservateur qui ne cachait pas sa joie en présentant cette exposition temporaire, bouclée quelques jours avant son départ à la retraite. «Cinq statues seulement ont quitté l’île, et il s’est avéré que la nôtre est la plus ancienne jamais datée: elle a été réalisée et érigée entre le XIIIe et le XIVe siècle, bien avant la majorité des autres moai recensés.» Un bout d’histoire mystérieux, imposant et grisant, que l’on peut désormais redécouvrir au milieu de deux couloirs aménagés à l’occasion de l’exposition Caballero Bueno. A sa gauche, outre deux statuettes en bois «parmi les plus remarquables des arts premiers» ramenées elles aussi de l’île, ont été accrochés des photos de l’expédition de 1935, avec, à sa droite, une sélection des planches originales de Thomas Gilbert que l’on peut là aussi regarder et admirer de près.

Cabellero Bueno: jusqu’a 31 août au Musée Art & Histoire, à Bruxelles.

Toute mon enfance je n’ai entendu parler que de l’île de Pâques.

Thomas Lavachery

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