Avec son album Impénétrable, Alix Garin dévoile ses douloureux monologues du vagin

Le pitch d’Alix Garin à son éditeur pour Impénétrable: "J’ai réalisé 240 pages de découpage pour me lancer dans une autobio sur le vaginisme!" © Le Lombard
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Alix Garin raconte avec Impénétrable une grande histoire d’amour mais aussi le vaginisme dont elle a longtemps souffert. Un témoignage intime et féministe, signe aussi d’un monde qui change.

En 2018, Alix Garin, l’auteur d’Impénétrable, a 21 ans et s’installe à Bruxelles. Une colocation d’étudiants avec son compagnon, un avenir un peu angoissant, un deuil brutal (celui de sa grand-mère, épreuve qui nourrira son premier album Ne m’oublie pas), un premier stage éprouvant dans une petite boîte de comm’, un premier contrat, un chagrin malgré tout tenace… Et le début d’une autofiction contemporaine somme toute assez banale, comme on pense en avoir déjà beaucoup lu, parfois en baillant. Sauf que: « Et un jour, quand on fait l’amour… J’ai mal.« 

Dans Impénétrable, Alix Garin a en effet choisi de raconter la douleur, mais aussi la solitude, l’isolement, les thérapies ou le désert médical qu’il lui a fallu traverser avant de mettre un nom, et bientôt un début de solution, à cette maladie jamais nommée, et encore largement taboue, qu’est le vaginisme. Un récit qui est aussi, surtout, une formidable histoire d’amour, certes très contemporaine et à elle seule très révélatrice de l’époque, n’empêche, on imagine la tête de l’éditeur d’Alix Garin lorsque, il y a presque deux ans, après un premier album aussi successfull que remarqué, celle-ci déboulait dans son bureau avec cette drôle de nouvelle: « J’abandonne le projet de fiction pour lequel j’ai déjà reçu une avance sur droits et réalisé 240 pages de découpage pour me lancer dans une autobio sur le vaginisme! » La réponse -« OK »– vient aujourd’hui poser un magnifique pavé de 300 pages sur une route éditoriale neuve mais désormais largement empruntée que sont les autofictions d’autrices tenant du témoignage intime.

© Le Lombard

« Pour ma part, l’envie de raconter est venue en deux temps, explique la jeune autrice, impressionnante de maturité et de confiance en soi. D’abord quand j’étais en plein dans les symptômes, dans l’errance médicale, et que je me sentais extrêmement seule. Je sentais qu’il me faudrait le raconter un jour, mais j’avais encore très peur, je ne savais pas quand et comment ça allait finir, si j’allais retrouver du plaisir, si j’étais vraiment asexuelle… Beaucoup de questions vertigineuses. Et puis, quand une conclusion et des solutions se sont présentées, je me suis dit: OK, c’est maintenant! Il y avait une espèce d’énergie qui résultait de ce parcours. Il me fallait saisir ces émotions et les graver dans le marbre, parce que je savais que c’était fugace. Et c’est là que l’autobiographie est un exercice thérapeutique remarquable. On change de perspective, et cette expérience extrêmement intime, personnelle, devient un moment de partage et un récit d’émotions que les lecteurs peuvent s’approprier. Parce que je ne suis pas la seule à avoir souffert de ça. »

Histoires narrées VS histoires vécues

Avec un sens rare du récit et de l’émotion en dessin, une grande lisibilité et une maîtrise des expressions métaphoriques voire poétiques propres à la bande dessinée, mais aussi « avec une distance qui permet la proximité, c’est assez paradoxal », Alix Garin se livre donc, dans Impénétrable, « sans concession et à fond, parce que ça n’est que comme ça que l’on peut pratiquer l’autobio: sans rien cacher, à commencer par les faces parfois douteuses de sa personnalité. L’autodérision permet de désamorcer beaucoup de choses, et ce n’est que comme ça que les lecteurs et les lectrices peuvent s’y retrouver. On a tous des hauts et des bas. « 

© Le Lombard

Impénétrable, c’est une montagne russe d’émotions capable de toucher tout le monde, homme ou femme, qui révèle décidément une autrice qui compte en seulement deux albums, mais qui n’avait pas pour autant l’intention « de rejoindre un courant » aujourd’hui très couru. Avant ou en même temps qu’elle, d’autres autrices telles Aude Mermilliod (Éclore, Casterman), Lauriane Chapeau (Petite grande, avec Violette Benilan, Glénat), ou Éléonore Costes (Pauvre meuf!, avec Aria, Delcourt) se sont épanchées sur leur intimité et leurs traumas mêlant violences sexuelles, harcèlements, maladies ou masculinité toxique. Des maux terribles qui touchent un jour ou l’autre toutes les femmes, lesquelles représentent la moitié de l’Humanité, mais qui jusqu’ici… n’étaient pas racontées.

Alix Garin acquiesce: « Disons qu’une porte s’est entrouverte depuis une petite dizaine d’années, et que beaucoup s’y lancent à corps perdu, parce qu’on a trop de choses à dire, parce qu’on s’est senties longtemps trop seules, trop méprisées, sur des sujets comme les douleurs -vaginisme ou endométriose- qui ne touchent que les femmes, et qui étaient balayés d’un revers de la main par les hommes. Mais, sorry les copains, ça concerne la moitié de nos vies à tous, et même un peu plus puisque beaucoup de couples sont directement impactés! Mon récit est un récit féministe dans le sens où il propose un regard féminin, ce qui n’est pas encore monnaie courante et est loin de représenter la moitié de la production littéraire. Mais nous vivons sans doute une phase de transition, dans laquelle on essaie de casser les schémas toxiques de représentation du passé. Une phase d’entre-deux où les hommes sont obligés eux aussi de tâtonner pour trouver d’autres modèles. » Et de conclure: « Moi, j’avais juste envie et besoin de raconter cette histoire. Et en tant qu’autrice, je n’ai pas à me justifier en m’inscrivant dans un mouvement, je ne m’excuse pas d’exister. Je me mets à nu, mais, je crois, avec beaucoup de pudeur aussi. Cette révélation de soi ne doit pas mettre mal à l’aise, ce serait foirer mon exercice de briser un tabou. Mais se révéler n’est pas impudique. Partager ce qui nous fait souffrir n’est pas impudique. Cette histoire ne ressemble pas à plein d’histoires déjà racontées, mais je crois qu’elle ressemble à plein d’histoires vécues. »

Impénétrable ****, d’Alix Garin, éditions Le Lombard, 304 pages.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content