Angoulême: un festival international de la BD sous tension

Au festival d’Angoulême, l’ambiance était tendue autour du management de Franck Bondoux.
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Le «festival de Cannes de la BD» s’est tenu du 29 janvier au 2 février et pour la 52e fois à Angoulême. Un succès de foule (et un joli palmarès pour la jeune génération belge) qui n’a cette fois pas suffi à en masquer les turpitudes: quid du 53e?

Pour les milliers de visiteurs qui se sont pressés en Charente, dans la petite cité d’Angoulême, pour l’occasion remplie littéralement de bulles, cette 52e édition du Festival international de la bande dessinée (FIBD) ressemblait à peu près aux précédentes. Malgré un ticket en forte augmentation (60 euros le pass de quatre jours!) et pourtant huit expositions officielles au lieu de douze l’année d’avant, l’ambiance semblait égale: la foule partout tout le temps, et à peu près tout ce que compte la planète comme éditeurs BD, petits et grands, au rendez-vous, dans ce mélange parfois étrange de célébration artistique et de foire au boudin, où des centaines d’auteurs rencontrent des milliers de lecteurs, dans un panel finalement très représentatif de la production francophone et mondiale, extrêmement bigarrée. On ne croise pas les mêmes faunes dans «le mondes bulles» qui rassemble les (très) gros éditeurs, au «off of off», haut lieu des alternatifs et de la punkitude ou dans la file, énorme, qui se pressait pour voir l’exposition consacrée à L’Atelier des sorciers de Kamome Shirahama.

Dix salles, dix ambiances, mais rien de vraiment neuf, s’il n’y avait eu, d’abord derrière les stands du «off» et des éditeurs indépendants rassemblés dans «Le nouveau monde», puis presque partout, des affiches sobres, reprenant toutes le même texte: «Chloé, on te croit.» Chloé, le nom d’emprunt d’une ex-responsable de la communication du festival, qui a affirmé dans L’Humanité avoifranck bondoux été droguée et violée par un de ses collègues l’année dernière, avant d’être… licenciée pour «comportement incompatible avec l’image de l’entreprise». A savoir la société 9e Art +, dirigée par Franck Bondoux, qui gère le festival depuis des lustres, main dans la main avec l’association qui préside historiquement le festival, et l’appui financier de moult institutions locales et nationales, sans oublier une kyrielle de sponsors, dont Quick, le dernier en date. Mais «l’affaire Chloé» est devenue pour les auteurs et éditeurs rassemblés dans cette grand-messe la goutte d’eau qui fait déborder un vase de reproches depuis longtemps déversés sur 9e Art + et les méthodes de son délégué général –du management brutal à l’opacité des montages financiers, en passant par d’innombrables conflits d’intérêts. Au point, cette fois, de faire vaciller Franck Bondoux. Et avec lui, qui sait, la présence même du festival à Angoulême.

Une pression maximale qui bouleverse déjà la prochaine édition, ouverte désormais à tous les scénarios, jusqu’à un éventuel et historique boycott.

En être ou pas?


La fronde a été forte sur le Net, dès les premières heures du festival, pour réclamer le départ du délégué général du festival, à coups de petits dessins sans équivoque, produits et partagés en masse par les auteurs et tous ceux qui les suivent. Mais il aura fallu attendre ses derniers instants pour entendre haut et fort quelques voix importantes (instances officielles, syndicat des auteurs et éditeurs, lauréats, ministère de la Culture) réclamer a minima une enquête poussée, la dénonciation du contrat qui lie 9e Art + et le FIBD, et la mise en place, dès cette année, d’un nouvel appel d’offres pour prendre en main la gestion voire l’accueil de cette énorme machine aussi commerciale qu’artistique.

Une pression maximale qui bouleverse déjà la prochaine édition, ouverte désormais à tous les scénarios, jusqu’à un éventuel et historique boycott si rien ne devait changer, comme l’a pour la première fois laissé entendre, entre autres, la direction des éditions Dargaud, démentant ce que nombre d’éditeurs et d’attachés de presse nous murmuraient pourtant dans le brouhaha du festival: «On ne peut pas ne pas y aller.» Franck Bondoux, fidèle à lui-même, prépare aussi sa contre-offensive, en sous-entendant la possibilité d’une… fusion entre 9e Art + et le FIBD. Une fusion qui enterrerait définitivement toute velléité de changement.

Bon bilan belge

«L’affaire Chloé» et la polémique Bondoux n’ont évidemment pas empêché les habituels autres accès de fièvre dans un milieu qui adore s’engueuler, notamment et comme toujours autour du Grand Prix. Choisi depuis quelques années via un vote soumis aux auteurs et autrices (mais dans lequel les premiers s’éparpillent et les secondes font preuve d’une remarquable sororité), il revient cette année, ô joie, à l’hilarante Anouk Ricard, laquelle aura donc droit l’année prochaine à sa grande rétrospective, comme ce fut le cas pour Posy Simmonds cette année.

L’armada belge ne repart pas bredouille non plus. La Nantaise Elizabeth Holleville et son éditeur bruxellois L’Employé du moi ont fait coup double avec le prix Goscinny et le Fauve des lycéens pour Contes de la mansarde. Les éditions Le Lombard, qui l’eût cru, se défont définitivement de leur étiquette de classique avec deux prix (une première depuis très longtemps), certes décernés par d’autres jurys que celui présidé cette année par l’actrice et «people» Zabou Breitman. Un jury qui a offert son Fauve d’or sans surprise et un peu d’accointance à Luz, ancien de Charlie Hebdo, pour son Deux filles nues, déjà chroniqué ici. D’autres Belges, restés en Belgique, faisaient par contre un peu plus la grimace: beaucoup de petites structures et de micro-éditeurs alternatifs n’ont cette année pas trouvé place dans l’espace Wallonie-Bruxelles que le WBI loue et que la Fédération gère. Seules huit structures ont bénéficié de leur stand officiel, contre plus du double l’année dernière, les autres étant regroupées derrière un stand commun, méritant mais plus flou. La faute surtout au manque de place, qui pourrait voir à l’avenir la production fanzinesque et francophone belge se rabattre sur le «off».

Angoulême, le palmarès

• Grand prix (via une élection en deux tours par les auteurs et autrices): Anouk Ricard
• Fauve d’or – prix du meilleur album: Deux filles nues, de Luz (Albin Michel)
• Prix spécial du jury: En territoire ennemi, de Carole Lobel (L’Association) et Les Météores, de Tommy Redolfi et JC Deveney (Delcourt)
• Prix de la série: Dementia 21, de Shintaro Kago (Huber)
• Prix révélation: Ballades, de Camille Potte (Atrabile)
• Prix du patrimoine: Come Over Come Over, de Lynda Barry (Çà et Là)
• Prix de la BD alternative: Fanatic Female Frustration et Hairspray Magazine
• Fauve polar: Revoir Comanche, de Romain Renard (Le Lombard)
• Fauve des lycéens: Contes de la mansarde, d’Elizabeth Holleville et Iris Pouy (L’Employé du Moi)
• Prix du public France Télévisions: Impénétrable, Alix Garin (Le Lombard)

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