Rester vertical : la politique du désir

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Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Alain Guiraudie aborde le cinéma comme « une machine à sublimer le réel ». Il le démontre à nouveau avec Rester vertical.

Rester vertical : la politique du désir
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Son court métrage le plus marquant s’appelle Ce vieux rêve qui bouge, et le cinéaste aime évoquer ce titre à l’appui de sa foi toujours grande en l’utopie d’un monde plus juste. Alain Guiraudie n’entend pas désarmer de sitôt, il veut poursuivre dans la voie d’un cinéma tout à la fois politique et sensuel, où la résistance s’exprime par des idées mais aussi par un désir défiant tous les tabous. Après le thriller sexuel L’Inconnu du lac et son huis clos à ciel ouvert, il signe un Rester vertical en forme de fable et d’itinéraire sur les pas d’un jeune cinéaste en mal d’inspiration et que des rencontres surprenantes vont marquer. Une des nombreuses singularités de son cinéma est de montrer des personnages, des êtres, qu’on ne voit pas d’ordinaire à l’écran. « Cela relève du désir intime, mais aussi de la politique, explique le cinéaste. Le monde paysan, le monde ouvrier, on ne les montre que peu. La vieillesse, les gueules cassées guère plus. Une affaire de classes sociales mais pas seulement. Cela touche aussi la sensualité, la sexualité. L’image des gays, par exemple, est toujours jeune, élégante, intellectuelle, urbaine. Pourtant l’homosexualité existe aussi chez les paysans, chez les ouvriers, chez les vieux, chez les laids… »

Voir le loup

L’étreinte remarquable du politique et du sexuel marque Rester vertical comme une évidence. Mais y parvenir ne fut pas chose facile pour Alain Guiraudie, qui devait pour cela « cesser de penser que le politique ne devait pas se mêler de l’intime et des implications morales qu’il peut susciter, et surtout oser me dévoiler moi-même, mettre en jeu mes propres désirs et fantasmes comme l’ont fait Fassbinder et Pasolini, les deux seuls cinéastes ayant clairement fait le lien du politique et du plus intime« . L’Inconnu du lac marqua ce tournant capital, ouvrant la voie à Rester vertical et à son foisonnement. « Je me suis emparé de thèmes qui agitent la société, comme l’euthanasie, la théorie des genres, l’homoparentalité, reprend le cinéaste, et aussi ce loup que craignent les éleveurs. J’aime tout à la fois ceux-ci et ce loup que je ne veux pas voir éradiquer. Difficile à gérer! C’est pourquoi je me suis envolé, dans le film, vers une dimension quasi mythologique. Car dans l’imaginaire collectif, le loup symbolise tout à la fois la peur et le désir. On a tous un peu envie de « voir le loup » (1), non? »

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Beaucoup d’anarchistes aiment son cinéma, mais Guiraudie est membre du Parti communiste français. Moins militant qu’avant et conscient que l’action politique n’est peut-être plus aujourd’hui à même de « changer le monde dans la réa-lité  » alors que le cinéma, lui, reste cette « machine à sublimer le réel« , permettant de « refaire le monde en l’accordant à notre désir« . « La proximité entre processus cinématographique et processus onirique« , qui le frappa très jeune et lui donna envie dès l’âge de 11-12 ans de faire des films, reste au coeur de la démarche exemplairement libre d’un Guiraudie rêvant ses films avant de les concrétiser. « Il y a toujours le film fantasmé et le film réel, qui n’est jamais le même, commente-t-il. Cela, on peut le regretter, le vivre comme une frustration. Je l’ai fait moi-même avant de comprendre que cette différence peut être quelque chose de positif, de nourrissant. »

Guiraudie a le sens de la formule. A la phase « solitaire » d’écriture du scénario, il fait se succéder « la phase communautaire » du tournage et « la phase conjugale » du montage. Une dernière étape du processus dont il a vraiment découvert le potentiel sur ce Rester vertical dont il a longuement retravaillé la structure, « poussant notamment l’utilisation des ellipses encore plus loin que ce n’était prévu« . De quoi encore ajouter au mystère du film, et à sa fluidité, épousant cette assez rare circulation du désir qui s’opère, voyage d’un personnage à l’autre « sans distinction liée au sexe, à l’âge, à l’apparence« . Du moment que l’on « reste vertical« , « la seule position pour l’Homme que le loup respecte, et par analogie la position qui nous maintient vivants, libres et vivants, envers et contre tout« .

(1) Expression populaire française signifiant « perdre sa virginité ».

Rencontre – Louis Danvers.

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