Festival Millenium: gros plan sur trois films à l’affiche

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

En adéquation avec une inquiétante actualité, le festival de documentaires Millenium invite à percer le côté obscur des gens de pouvoir mais aussi à découvrir des personnalités lumineuses.

Décliné l’an dernier au format digital, offrant à voir plus de 60 documentaires en ligne, Millenium, le festival bruxellois du documentaire est cette année de retour dans les salles. Bozar, Palace, Galeries, Aventure, Vendôme, Civa. Du 5 mai et sa soirée d’ouverture avec la projection de Dernières Nouvelles du Cosmos (portrait d’une poétesse autiste signé Julie Bertuccelli, cette année présidente du jury) au 13 mai et à sa cérémonie de remise des prix, Millenium aura pour fil rouge en cette quatorzième édition le thème Pouvoir et démocratie. On y parlera des limitations des droits et des libertés, de l’emprise des extrêmes ou encore de manipulation de l’opinion. On y traitera de l’impact de l’extrême droite au pouvoir en Pologne sur l’indépendance du pouvoir judiciaire (Judges Under Pressure), de la gestion controversée de la pandémie par les autorités scandinaves (Behind the Swedish Model) ou encore du sort réservé par Trump et son administration aux Mexicains des États-Unis avec sa politique migratoire dégueulasse (On the Line, les expulsés de l’Amérique). Gros plan sur trois films à l’affiche.

A Declaration of Love

De Marco Speroni. 1h02. Italie. 2021. Compétition internationale. ****

A Declaration of Love

Curtis McCarty a suivi sa famille et grandi sur des bases militaires. Il a toujours connu un rapport aux drogues compliqué. Il a sauté dedans à pieds joints et décroché très tôt de l’école. Le 10 décembre 1982, Pamela, une fille qui vivait dans le même quartier que sa petite amie, a été violée et tuée. Plutôt que de l’inviter à aller témoigner au commissariat, la police l’a embarqué de force. Après trois jours d’abus physiques et psychologiques, le représentant de l’état lui a dit qu’il était un menteur, qu’il devait donner le nom du coupable sinon il prendrait sa place au tribunal. Face caméra, en plan très rapproché, Curtis raconte l’entièreté de son parcours judiciaire. Ses parents, la famille de la victime et les photos ignobles du crime. Le sentiment de se noyer, d’être asphyxié. La haine et l’envie de revanche quand on est en train de couler. Condamné à la peine capitale pour un crime qu’il n’a pas commis, Curtis a passé 22 ans en prison dont 19 dans le couloir de la mort du pénitencier d’Oklahoma pour en sortir à 44 printemps le cheveu gris sans espoir ou futur. Incroyablement filmé au plus près de la douleur, puis aussi avec des longs plans-séquences à la True Detective, A Declaration of Love questionne le système judiciaire américain et condamne la peine de mort. Un portrait qui ne laisse ni physiquement ni mentalement indemne.

Media crash: qui a tué le débat public?

De Luc Hermann et Valentine Oberti. 1h32. France. 2021. Programmation Démocratie et pouvoir. ***(*)

Media crash: qui a tué le débat public?
© PREMIERES LIGNES – MEDIAPART

Ils sont industriels, grands patrons dans le luxe, les transports, la téléphonie, le bâtiment et les travaux publics… Neuf milliardaires détiennent plus de 90% des grands médias, télévisions, radios et journaux français. Jamais le pays n’a connu une telle concentration des médias privés. Si le secteur est considéré comme le deuxième le plus rentable, l’intérêt n’est pas pour autant purement économique. Certains profitent allègrement de leur position pour défendre leur profit privé au détriment de l’info d’intérêt public. Peu soucieux (c’est un euphémisme) des citoyens et de ces démocraties dont les médias sont censés être les garants, ces gens sans scrupules façonnent, orientent, parfois hystérisent… De Vincent Bolloré, qui a supprimé Les Guignols et laissé dire n’importe quoi à Zemmour (injures raciales et religieuses, fake news) pendant des années, à Bernard Arnault (Les Échos, Le Parisien), homme aussi discret qu’inquiet de son visage public. Valentine Oberti (Mediapart, ex-Quotidien) et Luc Hermann (Premières Lignes) épinglent dans un outil plus pédagogique que d’investigation la fabrication compliquée de l’information, le comportement des nababs et les abus de position dominante. Nourri par des économistes, des journalistes, des chargés de recherche…, ce documentaire à montrer dans les écoles est une synthèse inquiétante mais sans grandes révélations de la situation. Le détricotage d’attaques contre la liberté de la presse.

Young Plato

De Neasa Ní Chianáin et Declan McGrath. 1h42. Irlande du Nord, Irlande, France, Belgique. 2021. Compétition Vision Jeune. ***(*)

Young Plato
© DR

Fermement destiné à lutter contre toute forme de défaitisme, le festival bruxellois propose des documentaires portés par des personnages lumineux. C’est le cas de ce Young Plato et de Kevin McArevey, directeur d’une école primaire à Ardoyne, au nord de Belfast. Dans ce quartier résidentiel rongé par la drogue, la violence et la délinquance, le principal de la Holy Cross Boys Primary School éduque et résout les problèmes avec l’aide de la philosophie et de la sagesse des anciens.

Grand fan d’Elvis devant l’éternel, mec ultra positif et souriant, le dirlo n’infantilise jamais les gosses. Il leur parle directement, simplement, les invite constamment à réfléchir, les renvoie à la maison avec des questions existentielles. Avec son équipe, il les aide à contrôler leurs émotions. Que ce soit face au mode de fonctionnement et à l’histoire de la société irlandaise ou dans les petits détails de la vie de tous les jours. S’appuyant sur Socrate, Platon et tous les autres grands penseurs du monde et des choses de la vie, McArevey, qu’on jurerait sorti d’un film de Ken Loach, parle des tensions entre catholiques et protestants et règle les jeux qui tournent en bagarre dans la cour d’école.

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