For Ever Godard : Hommage à un monument du septième art

Alphaville une etrange aventure de Lemmy Caution 1965 Real Jean Luc Godard Collection Christophel © Andre Michelin Productions / Filmstudio / Chaumiane /Georges Pierre © ISOPIX
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Cinéaste essentiel, fer de lance de la Nouvelle Vague n’ayant cessé de questionner son art, Jean-Luc Godard, le réalisateur d’A bout de souffle, du Mépris et de Pierrot le fou, s’est éteint à 91 ans.

Jean-Luc Godard qui meurt et c’est tout le cinéma qui est dépeuplé. Artiste prolifique – plus de 130 films et vidéos en près de soixante ans de carrière –, le cinéaste franco-suisse, né à Paris en 1930, aura marqué de son empreinte l’histoire d’un art qu’il contribua à faire entrer dans la modernité. C’était au tournant des années 1960, et A bout de souffle donnait à la Nouvelle Vague son film manifeste, en même temps qu’il imposait la singularité du regard de son auteur. A l’instar des autres figures de proue du mouvement, les Truffaut, Chabrol, Rohmer et Rivette, Godard avait fait ses armes dans la critique, aux Cahiers du cinéma notamment, avant de passer derrière la caméra. A bout de souffle sera un véritable coup de tonnerre, le cinéaste bousculant allègrement les codes en retraçant l’itinéraire de Michel Poiccard (Jean-Paul Belmondo), un petit voyou débarquant à Paris après avoir tué un policier, afin de retrouver Patricia (Jean Seberg), une jeune Américaine avec qui il a l’intention de fuir à l’étranger. Tournage en extérieurs en mode documentaire, sens du rythme accentué par un montage audacieux, décontraction du jeu de Belmondo, souffle insolent de la jeunesse, dialogues mordants – « Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, si vous n’aimez pas la ville… allez vous faire foutre ! » –, Godard (im)pose un ton et un style qui feront florès.

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Des sixties exemplaires

Les sixties du réalisateur seront exemplaires. Godard trouve en Anna Karina sa muse à la ville comme à l ’écran, tournant, à compter du Petit soldat (un film sur la guerre d’ Algérie, interdit pendant plusieurs années), une demi­-douzaine de films en sa compagnie, parmi lesquels l’admirable Vivre sa vie, où elle est inoubliable sous les traits de Nana, ou le cultissime Pierrot le fou, et sa quête désespérée de l’amour aux côtés de Belmondo. S’il lui fait l’une ou l’autre infidélité, c’est pour adapter Moravia dans Le Mépris, où un couple – Bardot et Piccoli – se délite inexorablement sur arrière-plan du tournage d’un film (par Fritz Lang dans son propre rôle), la partition de Georges Delerue ajoutant le lyrisme à la beauté des décors de Capri. Ou alors pour se lancer dans un portrait généra­tionnel avec Masculin féminin.

Inégale, son œuvre n’en est pas moins considérable qui, durant une décennie d’exception, a écrit l’histoire du cinéma pour mieux la réfléchir par la suite.

Consommée après Made in U.S.A., en 1967, la rupture du couple n’empêchera pas Godard de poursuivre son parcours d’agitateur de formes comme d’idées. La Chinoise, avec Anne Wiazemsky, anticipe les événements de mai 68, Week-end dénonce, dans une grande liberté formelle, la frénésie automobile – déjà ! Après quoi JLG opère une mue radicale, rejoignant le groupe Dziga Vertov, tenant d’un cinéma d’obédience marxiste-­léniniste, et cosignant des films militants comme Pravda ou Luttes en Italie. Tout va bien, en 1972, avec Yves Montand et Jane Fonda – sur un couple parti faire un reportage sur une usine occupée et se retrouvant bientôt séquestré au même titre que le patron – sera sa seule concession au cinéma « commercial » pendant cette période, le réalisateur se tournant par ailleurs, au mitan des années 1970, vers la vidéo et la télévision, aux côtés notamment de celle qui sera sa compagne jusqu’ à la fin, Anne-Marie Miéville.

Il faut attendre les années 1980 pour voir JLG revenir à une forme plus classique de cinéma, à sa manière s’entend, avec des films comme Sauve qui peut (la vie), une histoire en trois mouvements incarnés par Nathalie Baye, Jacques Dutronc et Isabelle Huppert ; Prénom : Carmen, avec Maruschka Detmers dans le rôle-titre, qui lui vaut le Lion d’or à la Mostra de Venise en 1983 ; Détective, où il fait tourner Johnny Hallyday ; ou Nouvelle Vague, avec Alain Delon cette fois. Le cinéaste, pour autant, n’a pas renoncé à ses questionnements : film-essai, For Ever Mozart se veut notamment une réflexion sur le pouvoir de l’art à s’impliquer dans l’histoire ; JLG/JLG se présente comme un étonnant journal intime ; quant à l’essai-vidéo Histoire(s) du cinéma, il ouvre sur un champ de réflexions illimité. Voué, ces vingt dernières années, à une relative confidentialité, Godard n’en est pas moins resté fidèle à une démarche aventureuse, poursuivant dans son œuvre protéiforme ses recherches sur les formes et le langage cinématographiques. Inégale, son œuvre n’en est pas moins considérable qui, durant une décennie d’exception, a écrit l’histoire du cinéma pour mieux la réfléchir par la suite. Avec, pour corollaire, une influence aussi décisive que persistante – jusqu’à Quentin Tarantino qui a baptisé sa société de production A Band Apart, du nom du film Bande à part tourné en 1964 par JLG. For Ever Godard.

À BOUT DE SOUFFLE (1960)

S’il n’est pas à proprement parler le film inaugural de la Nouvelle Vague, il en est incontestablement le plus emblématique. En 1960, le tout premier long métrage de Jean-Luc Godard a en effet valeur de véritable manifeste esthétique. Imprégné de culture américaine, riche en coups d’éclat et en discontinuités formelles, c’est un film de rupture radicale avec le classicisme de papa qui ouvre définitivement, par son succès et sa liberté, le cinéma français à la modernité. Indémodable.

LE MÉPRIS (1963)

« Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs. » Parti sur ces bases éminemment théoriques, Godard adapte Alberto Moravia à Cinecittà puis sous le soleil écrasant de Capri, où le couple glamourisé formé par Michel Piccoli et Brigitte Bardot se délite sur fond de références mythologiques. De la présence de Fritz Lang à celle de l’icône Bardot, tout touche au mythe, au fond, dans ce chef-d’œuvre tragique sur le couple et le cinéma magnifié par la somptueuse musique de Georges Delerue.

PIERROT LE FOU (1965)

Au sommet de ses audaces narratives et de ses expérimentations plastiques, le cinéaste intelloludique dynamite les conventions et invente le road movie à la française avec ce véritable phénomène de la culture pop qui dessine, à la croisée des genres, la folle histoire d’un couple en cavale. Taxé d’anarchisme moral à sa sortie, Pierrot le Fou suscitera, par ses fulgurances poétiques, bien des vocations. Comme celle de Chantal Akerman, par exemple. Rien que pour ça, déjà…

SAUVE QUI PEUT (LA VIE) (1980)

Après mai 68, Godard signe des films militants avec le Groupe Dziga Vertov avant d’expérimenter la vidéo. Ce n’est qu’au tournant des années 1980 qu’il revient pleinement au cinéma avec Sauve qui peut (la vie) où Nathalie Baye, Jacques Dutronc et Isabelle Huppert symbolisent l’imaginaire, la peur et le commerce. Face à une société qui broie et une industrie cinématographique qui va toujours trop vite, Godard use du ralenti pour mieux prendre le temps de filmer la vie en mouvement. Nouveau coup de maître.

FILM SOCIALISME (2010)

Tout au long de son parcours, et singulièrement depuis ses titanesques Histoire(s) du cinéma, Jean-Luc Godard a toujours beaucoup cherché à mettre l’histoire en forme. Film-patchwork découpé en trois volets et en partie tourné sur le Costa Concordia, qui fera naufrage deux ans plus tard, Film Socialisme fait le constat, aigri mais pas totalement dénué d’espoir, du déclin grandissant de l’Europe et de la société moderne sur fond d’Illusions perdues…

ADIEU AU LANGAGE (2014)

Eternel aventurier du cinéma, Jean-Luc Godard signe, à 83 ans, son premier long métrage en 3D, qu’il réinvente au gré de son inspiration poétique. Moins saturé de signes et d’aphorismes qu’à l’accoutumée, le film, d’une grande mélancolie, décroche le Prix du jury à Cannes en 2014, que Godard, le redoutable, n’ira évidemment pas chercher. Une œuvre-testament, même si le cinéaste réalisera encore quatre ans plus tard Le Livre d’image, son ultime long métrage.

DIXIT

Godard avait le sens de la formule. Notamment pour parler du cinéma. Certaines sont d’ailleurs passées à la postérité. Petit florilège. 

« La télévision fabrique de l’oubli. Le cinéma fabrique des souvenirs. »

« Quand on va au cinéma, on lève la tête. Quand on regarde la télévision, on la baisse. »

« La photographie, c’est la vérité et le cinéma, c’est vingt-quatre fois la vérité par seconde. »

« Il faut confronter des idées vagues avec des images claires. »

« Il y a le visible et l’invisible. Si vous ne filmez que le visible, c’est un téléfilm que vous faites. »

« Le cinéma, ce n’est pas la reproduction de la réalité, c’est un oubli de la réalité. Mais si on enregistre cet oubli, on peut alors se souvenir et peut-être parvenir au réel. »

« Les Français sont des scénaristes à idées et en général ça fait des films infects. »

« Le cinéma est la plus belle escroquerie du monde. »

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