Critique | Musique

Nos albums de la semaine: M.I.A., Teenage Fanclub, Tim Presley…

M.I.A. © Max Larsson
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Fidèle à sa réputation, controversée, d’activiste pop, M.I.A. sort un album qui s’attarde sur les questions d’asile et de migration. Politiquement engagée. On vous parle également des albums de James Vincent McMorrow, Tim Presley, Wovenhand, Teenage Fanclub, Sonny Rollins, Tina Brooks Quintet, Christophe Panzani…

M.I.A. – « AIM »

POP. DISTRIBUÉ PAR UNIVERSAL. ***

La scène se déroule à Gand, il y a deux semaines. Alors que Massive Attack a passé son concert à ruminer ses idées noires, il laisse entrevoir un filet de lumière lors de son (unique) rappel: pendant que des images de réfugiés (syriens?) défilent sur l’écran, Unfinished Sympathy sonne plus que jamais comme une prière. Un élan de compassion bienveillant dans un monde qui semble tourner sur sa tête. Si Massive Attack a perdu la main musicalement (le dernier album date de 2010), il continue de proposer une lecture aiguisée de l’actualité. Et de se rendre compte qu’en la matière, ils ne sont pas loin d’être l’exception…

C’est le paradoxe de l’époque. Les journaux télévisés ont beau déverser chaque jour leur lot de nouvelles anxiogènes, ni le rock ni la pop ne semblent vraiment avoir envie de s’en préoccuper. Le chaos ne fait plus réagir. Parce qu’il tétanise? Ou bien parce qu’il est trop difficile à saisir, trop complexe pour une chanson de trois minutes trente? Le débat est lancé. Et pour l’alimenter, on peut toujours compter sur M.I.A.

Depuis son premier album, Arular (2005), Mathangi Arulpragasam de son vrai nom, n’est en effet pas loin de personnifier l’engagement même. Avec tout ce que la démarche peut charrier de contradictions et de polémiques sans fin. À la fois rebelle tiers-mondiste et icône fashion (récemment, elle posait encore pour le Guardian en Stella McCartney), grande gueule anti-corporate parano et star signée sur une major, M.I.A. collectionne les paradoxes. À cet égard, AIM ne résout rien. Présenté comme son dernier, ce cinquième album ajoute même quelques questions supplémentaires.

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Le single Borders, qui ouvre le disque, en est une bonne illustration. Comme bien peu ont osé le faire, M.I.A. s’attaque ici au débat sur les frontières et la crise de l’asile. Au-delà du morceau, c’est la vidéo qui a surtout fait réagir. En se mettant en scène au milieu de réfugiés, empaquetés sur une embarcation de fortune, M.I.A. ne « glamourise »-t-elle pas la misère humaine? Ne tombe-t-elle pas dans le « poverty porn », en se servant d’une thématique brûlante et particulièrement douloureuse? On rétorquera que son histoire personnelle lui donne quelque licences -M.I.A. est la fille d’un homme politique tamoul, dont l’activisme a poussé la famille à fuir le Sri Lanka. Sans que cela ne mette un point final au débat…

Au moins, M.I.A. a de la suite dans les idées. Elle insiste plus loin avec Visa, tandis qu’elle se demande sur Ali R U OK?, « Ali, I haven’t even seen you since we left Calais », côté jungle forcément. Il faut ainsi laisser ça à M.I.A.: son opiniâtreté. Rien que pour cet entêtement à imposer son agenda, AIM force le respect. Bizarrement, l’album le fait cependant aussi avec une certaine désinvolture. Sans complètement renouveler son nuancier de couleurs, M.I.A. continue d’expérimenter, en mélangeant pop électronique et sonorités mondiales. Mais avec un détachement, qui passe pour du dilettantisme (Birdsong, Freedun), l’encéphalogramme sonique parfois étrangement plat. On attendait un dernier baroud d’honneur, feu d’artifice final. Au lieu de ça, AIM ne s’agite qu’épisodiquement. (L.H.)

James Vincent McMorrow – « We Move »

RHYTHM’N’BLUES. DISTRIBUÉ PAR CAROLINE. ****

Passant du folk indie façon Bon Iver aux effluves rhythm’n’blues entre le premier et le second album, l’irlandais McMorrow poursuit la soul au troisième chapitre. Ce qui le rend intéressant, c’est la densité mercuriale des arrangements électros et le falsetto rescapé de vastes tourments: sur I Lie Awake Every Night, le trentenaire évoque l’anorexie qui l’amena, teenager de 35 kilos, aux portes de la mort. D’où, on le suppose, ce puissant instinct de vie épanoui en chansons qui prennent l’allure cinglante de classiques: Last Story est de cette race-là. Sans laisser les autres titres très loin d’une contagieuse sentimentalité, produite par Nineteen85, le mec derrière plusieurs hits de Drake. (Ph.C.)

Tim Presley – « The Wink »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR DRAG CITY/V2. ****

Le 17/11 chez Madame Moustache (Bruxelles).

À en juger par Renégat, l’autobiographie du chanteur de The Fall dont il a été brièvement le guitariste, il est l’un des rares musiciens, si pas le seul, à trouver grâce aux yeux de Mark E. Smith. À nouveau, comme dans son projet Drinks, flanqué de la Galloise Cate LeBon, cette fois à la production (elle a sélectionné les morceaux dans une pile de démos et dirigé les arrangements), Tim « White Fence » Presley signe un méchant album de rock psychédélique où les grattes décousues flirtent avec sa voix récitée de Nico au masculin. Un album qui divague, enrôle Stella Mogzawa (Warpaint), accouple Syd Barrett avec le Velvet Underground et rend hommage à Kerouac d’une reprise de Willie Loco Alexander (d’ailleurs sur la fin membre du Velvet). Aussi brillant qu’étrange. (J.B.)

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Wovenhand – « Star Treatment »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR GLITTERHOUSE RECORDS. ***

Le 06/10 au Depot (Leuven), le 07/10 au Handelsbeurs (Gand), le 08/10 à l’Eden (Charleroi) et le 10/10 à l’Aeronef (Lille).

Autant on avait été emballé en 2014 par son prédécesseur Refractory Obdurate, autant Star Treatment, le nouvel album de Wovenhand, laisse aujourd’hui dubitatif. Prophète de l’apocalypse, David Eugene Edwards (16 Horsepower) se promène toujours à pieds nus sur les braises encore incandescentes d’une americana gothique et d’une country alternative déviante, entre musiques traditionnelles, psychédélisme, post rock et stoner blues. Mais si certains morceaux tel Swaying Reed évoquent le travail des Swans tandis qu’un Crook and Flail flotte avec succès sur des effluves orientaux, d’autres comme Come Brave, The Hired Hand et Go Ye Light pèchent clairement par leur grandiloquence. Un disque très inégal. (J.B.)

Teenage Fanclub – « Here »

ROCK. DISTRIBUÉ PAR MERGE. ****

Il y a des amours qui, malgré le temps qui passe, le temps qui lasse, ne fanent décidément pas. Héros nineties (voir le cultissime Bandwagonesque, sorti en 1991, en pleine folie Nevermind), les Écossais du Teenage Fanclub ont beau avoir ralenti aujourd’hui la cadence, ce n’est que pour mieux creuser un songwriting de plus en plus éblouissant, comme en apesanteur. Six ans après un excellent Shadows, le groupe mené par le trio Norman Blake, Gerard Love et Raymond McGinley propose une douzaine de nouveaux morceaux. Soit autant d’orfèvreries pop, ciselées, aériennes, immédiatement chaleureuses. Soyons clairs: n’en faisant qu’à sa tête, Teenage Fanclub reste complètement sourd au zeitgeist rock de 2016. Au lieu de ça, il se pose en entité à la fois indépendante et hospitalière, se permettant de commencer le dixième album de sa discographie par un morceau intitulé I’m in Love. La chanson est aussi sentimentale que ne le laisse présager son titre, assumant ses penchants amoureux –« this is not such a mystery »-, d’autant plus sereinement qu’au dehors « it’s so hard to stay alive »… Plus loin, The Darkest Part of the Night croise la mélancolie solaire avec les violons, tandis que The First Sight s’abandonne à une douce euphorie, dopée par une guitare électrique aussi élémentaire que grisante. Simplement beau.

Alors oui, certes, Here est sans surprise. Mais également sans faux pas, alignant les mélodies lumineuses, s’alignant sur l’héritage des Byrds ou de Big Star. Avec pour résultat, un disque foutrement attachant, adepte du here and now. (L.H.)

Sonny Rollins – « 5 Original Albums »

JAZZ. PRESTIGE/THE JAZZLABELS 7236399 (UNIVERSAL). ****(*)

Bien qu’il ait dû renoncer à jouer du saxophone depuis quelques années, Sonny Rollins n’a pas déserté pour autant l’actualité du jazz comme nous le rappelle ce coffret retraçant ses débuts…

Sonny Rollins
Sonny Rollins© DR

Depuis le décès de Toots Thielemans, Theodore Walter « Sonny » Rollins (86 ans) est, avec le batteur Roy Haynes (de cinq ans son aîné), le dernier musicien encore en vie à avoir joué avec Charlie Parker. Il avait alors 22 ans et ne s’était guère ému de côtoyer, pour trois titres d’une séance de Miles (1), le mythique Bird caché lors de cette session, sous le pseudonyme transparent de Charlie Chan. Inventeur avec quelques autres (dont Horace Silver, Max Roach, Art Blakey, Clifford Brown, Miles Davis, Thelonious Monk) du hard bop, Sonny Rollins reste le musicien de jazz qui aura (un temps) idéalement symbolisé ce que peut-être la liberté et la créativité au sein des contraintes d’un genre qu’il a pourtant exploré en le récurant de la cave au grenier -même s’il ne l’a que rarement remis en question.

Formidable styliste au souffle inépuisable dont la profondeur de jeu comme la rondeur du son, pourtant inimitables, n’ont jamais cessé d’influencer tous ses confrères à un moment ou un autre de leur carrière (de Coltrane à David S. Ware en passant par Frank Lowe ou Brandford Marsalis, notamment), Rollins, avec Coleman Hawkins (son idole), Lester Young, John Coltrane (et eux seuls) n’est rien de moins que l’un des quatre plus grands saxophonistes de l’histoire du jazz. Malgré deux fameux congés sabbatiques de quelques années pris à la fin des années 50 et 60, il n’a jamais cessé d’enregistrer tout au long d’une carrière qui couvre plus de six décennies.

Les cinq albums repris dans ce coffret à la présentation minimaliste appartiennent tous aux années 50, époque à laquelle Rollins, quoi qu’il ait pu faire par la suite, reste toujours étroitement identifié. Leurs dates d’enregistrement vont de 1951 (la première moitié de With the Modern Jazz Quartet) à 1956 (Tenor Madness, Saxophone Colossus) en passant par 1953 (l’autre partie de With the MJQ), 1954 (Moving Out) et 1955 (Work Time), même si leur première édition en LP (le contenu des plus anciens ayant déjà été publié sous les formats discographiques qui précédaient) date pour tous de 1956. Si l’ensemble est d’une formidable qualité, deux albums se détachent en particulier: Tenor Madness où Rollins, soutenu par la rythmique du quintette de Miles, se livre avec John Coltrane à une royale bataille sur le titre qui a donné son nom à l’album et, surtout, le séminal Saxophone Colossus, son chef-d’oeuvre absolu (même si l’on peut lui préférer d’autres disques appartenant à d’autres époques) dans lequel il nous offre en quartette (Tommy Flanagan au piano, Doug Watkins à la base et Max Roach, son ex-leader, à la batterie), de magistrales versions de compositions flamboyantes (St. Thomas, Strode Rode, Moritat, Blue 7) flanquées d’un standard qui ne les déparent pas (You don’t Know What Love Is). Dans une forme physique et mentale éblouissante depuis qu’il s’est débarrassé de ses addictions, Sonny Rollins y délivre quelques solos de ténor définitifs au sein d’un des albums qui incarnent depuis le son du jazz moderne. (Ph.E.)

(1) Miles Davis Collector’s Item (enregistré en janvier 1953 et paru en 1956) sur trois titres, The Serpent’s Tooth (deux prises), ‘Round Midnight et Compulsion.

Alexander Hawkins/Evan Parker – « Leaps in Leicester »

JAZZ. Clean feed CF362CD (instantjazz.com). ***(*)

Si Alexander Hawkins, figure de la jeune génération de la musique improvisée, a souvent joué avec le saxophoniste dans différentes formations, c’est la première fois qu’il se retrouve en tête-à-tête avec le maître. Les duos avec des pianistes ne sont pas rares dans la carrière d’Evan Parker (ici, au ténor). Aux côtés, notamment, de Stan Tracey, John Tilbury ou Agusti Fernandez, Parker nous a même offert quelques merveilles. Si Leaps in n’atteint pas ce niveau, la raison relève de la trop grande réserve du pianiste lors des trois premiers duos. Les deux hommes, heureusement, finissent par élever radicalement le niveau de leur relation sur Shimmy, sommet magique occupant la seconde moitié d’un CD qui aurait pu se résumer à ce seul titre. (Ph. E.)

Octurn/The Tibetan Monks of Gyuto – « Tantric College »

JAZZ. Onze Heures Onze ONZ019 (octurn.com) ****

Octurn a toujours fonctionné comme un laboratoire et ce n’est pas Tantric College qui risque de nous contredire. Le double album est en effet le résultat de la rencontre entre le chant de gorge (dit diphonique) des huit moines tibétains du monastère de Gyuto (Inde) et la musique d’un groupe à géométrie variable dont le pilier reste le saxophoniste baryton Bo van der Werf et ses chevilles ouvrières (du moins ici), Josef Dumoulin et Fabian Fiorini, tous deux d’une belle profondeur aux claviers électrique et acoustique. Même si le dispositif entre les voix tibétaines et les compositions d’Octurn relève du collage, la sensibilité des musiciens pour la culture de leurs invités font de Tantric College une profonde réussite fusionnelle. (Ph. E.)

Christophe Panzani – « Les Âmes perdues »

JAZZ. Jazz &People JPCD816002 (Harmonia Mundi) ***(*)

Premier album d’un saxophoniste français qui a fait partie de l’orchestre de Carla Bley il y a une dizaine d’années, Les Âmes perdues est une suite de duos nomades avec sept pianistes (dont Édouard Ferlet, Dan Tepfer, Yonathan Avishai) résidant en France et enregistrée chez eux. Le ton de ces rencontres est à l’introspection et à la retenue, bien qu’il ne soit pas interdit d’élever la voix ici ou là, mais jamais très longtemps. Bien qu’il ne joue que du ténor, Panzani n’est pas sans rappeler Lee Konitz (autre amoureux des duos et des pianistes) et son alto, autant par son approche impressionniste de l’instrument que par la nature de son jeu qui favorise le haut médium. Un disque que chaque écoute rend un peu plus attachant. (Ph. E.)

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Tina Brooks Quintet -« The Complete Recordings (Master Takes) »

JAZZ. Phono 870 333 ****

Disponible sur différents sites de ventes, ce double CD contient tous les titres enregistrés pour Blue Note (à deux alternates près) par Harold « Tina » Brooks. Les quatre disques dont ils proviennent ont été découverts grâce aux rééditions du label parues au tournant du siècle, même si le mot réédition ne concerne pas vraiment le saxophoniste ténor puisque seul le LP True Blue a été publié de son vivant. Bien qu’ayant enregistré avec Jimmy Smith, Freddie Hubbard ou Jackie McLean, la carrière discographique de Brooks s’est résumée longtemps à ce disque et aux participations précitées malgré trois autres séances d’enregistrement en leader restées incompréhensiblement ignorées par Alfred Lyon. Sa mort à 42 ans, due autant au désespoir qu’à la drogue, n’a fait que le plonger dans un anonymat plus total encore dont ces Complete Recordings tentent à nouveau de le ressortir alors même que les plages de Minor Move (1958), True Blue (1960), Back to the Tracks (1960) et The Waiting Game (1961), issues en totalité ou presque de sa plume, appartiennent au meilleur hard bop. Saxophoniste dont le jeu dégage un léger parfum rythm’n’blues, Brooks est entouré, selon les disques, par Freddie Hubbard, Lee Morgan, Jackie McLean, Sonny Clarke, Paul Chambers, Art Blakey, Philly Joe Jones entre autres pointures. À découvrir, si ce n’est déjà fait. (Ph. E.)

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