Wayne Shorter, en disques et en BD

Wayne Shorter, légende vivante du jazz. © DR
Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

Trois CD adossés à une bande dessinée dont il est le coscénariste: le dernier album de Wayne Shorter, Emanon, est à l’image de sa carrière, longue, riche et imprévisible.

La longévité de Wayne Shorter ferait presque oublier qu’il n’a atteint sa pleine maturité artistique qu’aux côtés de Miles Davis à l’âge de 31 ans. Certes, il est loin d’être un inconnu à l’époque puisqu’il fut membre des Jazz Messengers d’Art Blakey de 1959 à 1964 et a déjà enregistré trois disques sous son nom avant de rejoindre le trompettiste. Pourtant, qui aurait pu imaginer qu’il deviendrait, quatre décennies plus tard, une des icônes de cette musique, son dernier trésor vivant? Wayne Shorter ne s’est pas seulement accompli en compagnie de Miles, il a aussi, avec la complicité du batteur Tony Williams et du pianiste Herbie Hancock (18 et 23 ans à l’époque), bouleversé la musique du trompettiste en tirant les performances scéniques du quintette vers le free, comme en témoigne le premier coffret de la Bootleg Collection. En retour, il offrira au maître la primeur de ses compositions, à l’image d’ E.S.P., Prince of Darkness, Nefertiti ou Footprints dont il livrera ses propres versions sur les huit albums (pour trois chefs-d’oeuvre intitulés Juju, Speak No Evil ou Adam’s Apple) publiés entre 1964 et 1970 sur Blue Note.

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Quand Miles reprend la main avec In A Silent Way (1969), le mythique quintette n’existe plus depuis près d’une année même si l’on retrouve dans cette merveille, Hancock, Williams et Shorter, augmentée de Joe Zawinul, Chick Corea, Dave Holland, Jack DeJohnette et John McLaughlin qui, sous la direction de Miles, vont inventer le jazz rock ou fusion dont Bitches Brew (dans lequel le saxophoniste signe Sanctuary) décuplera l’impact un an plus tard. Dans la foulée de ces deux disques fondateurs, Shorter et Zawinul, qui se sont croisés chez Maynard Ferguson douze ans plus tôt, s’associent pour créer Weather Report, la meilleure des formations nées de la révolution davisienne. C’est au sein de ce groupe que le soprano -instrument que lui a imposé Miles- va prendre le dessus sur le ténor chez Shorter. Si le groupe change souvent de personnel et révélera le phénomène Jaco Pastorius, il n’en restera pas moins actif jusqu’en 1986, produisant seize albums dont les emblématiques I Sing the Body Electric (1972), Mysterious Traveller (1974) ou Black Market (1976). Weather Report aura été pour le jazz l’équivalent des supergroupes pour le rock, mais avec un impact supérieur sur l’évolution de la musique anglo-saxonne puisque la formation incorpore aussi des rythmes et des sons issus d’autres cultures musicales, anticipant ainsi la world music. Parallèlement, le saxophoniste participera au V.S.O.P Quintet reprenant, avec les musiciens de l’époque, le répertoire de Miles -Freddy Hubbard suppléant ce dernier à la trompette. Lorsqu’il quitte Weather Report qui ne s’en relèvera pas, Shorter travaillera encore avec Carlos Santana et Joni Mitchell.

Wayne Shorter, en disques et en BD

Pendant les années 90, désormais sans attache, le saxophoniste ne publiera sous son nom que deux albums, High Life (1995) et 1+1 (1997), ce dernier en duo avec Herbie Hancock. Déjà marquée par la perte de sa fille en 1986, la vie du musicien va connaître à nouveau un terrible drame lorsqu’en 1996 son épouse disparaît dans l’explosion tristement célèbre du vol 800 de la TWA. Pourtant, après trois ans de silence, le bouddhiste Wayne Shorter, désormais remarié, va complètement se réinventer et nous offrir avec son nouveau quartette la période musicale la plus libre de toute sa carrière. Composé du batteur Brian Blade, du bassiste John Patitucci, du pianiste Danilo Perez et d’un leader qui renoue avec le ténor, le Wayne Shorter Quartet est un cover band d’un type inédit puisque consacré au seul répertoire d’un leader qui le décline sous la forme de ballades modales au long cours pouvant se transformer en un free jazz sidérant d’explosivité. Si aucun des albums (tous live) publiés à ce jour du WSQ n’a réussi à restituer la dimension scénique de cette musique, les deuxième et troisième disques d’Emanon enregistrés en quartette sont ceux qui s’en approchent le plus, dans l’interaction des musiciens comme dans le flot d’une musique explosive capable de flirter aussi avec le silence. Cerise sur un gâteau déjà bien garni, la réunion du quartette et des cordes de l’Orpheus Chamber Orchestra dans le premier offre un témoignage parfait d’une science orchestrale où Shorter marie improvisation et écriture savante avec un sens exceptionnel de la dramaturgie musicale.

Wayne Shorter, Emanon, Blue Note B002776802 (Universal). ****(*)

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