Avec Little Joy et Megapuss, Fab Moretti fait des infidélités aux Strokes. Il nous guide dans le dédale des side projects, fort prisés ces dernières années.
De Sheffield à Detroit, d’Alex « Arctic Monkeys » Turner à Jack White « Stripes », les rockeurs d’aujourd’hui prennent un malin plaisir à se faire momentanément la malle et à chercher l’aventure ailleurs. Que ce soit en solitaire ou acoquinés à d’autres musicos libertaires. Ce phénomène du side project ne date pas d’hier. Charlie Watts, Bill Wyman, Keith Richards et Mick Jagger ont tous sans exception fait des infidélités aux Rolling Stones. Tandis qu’en 1978, tous les membres de Kiss sortaient simultanément un album solo.
En attendant, ces derniers temps tout particulièrement, les musiciens aiment se trouver une maîtresse et prendre la tangente. Trois Strokes ont ainsi quitté momentanément le lit conjugal. Le guitariste Albert Hammond Jr. a sorti deux disques sous son propre nom. Le bassiste Nikolai Fraiture a créé Nickel Eye. Et Fabrizio Moretti a fondé Little Joy.
S’il est assez courant que les membres de groupes populaires se lancent dans de nouveaux délires espérant plus ou moins clairement bénéficier de leur notoriété, le side project est particulièrement prisé par ceux qui ne sont pas ou peu impliqués dans le processus créatif de leur « band » initial.
« J’admire énormément le songwriting de Julian (ndlr: Casablancas, chanteur des Strokes), commente Moretti pour amorcer le débat. Je me suis donc toujours focalisé sur la batterie en essayant de donner le meilleur de moi-même. Quand nous avons breaké, j’ai commencé à chipoter à la guitare sans jamais m’imaginer que j’écrirais un jour des chansons. Albert a pavé le chemin. Mais c’est surtout le fait que nous allions mettre les Strokes en stand-by pour un moment qui m’a incité à aller de l’avant. En plus, je venais de rompre avec ma précédente petite amie. Pour tuer le temps, je m’étais acheté une poupée gonflable. Elle s’appelait Stacy. »
Moretti rigole. Déconne. Explique qu’à la base, il voulait enregistrer un disque sur un sous-marin. Un sous-marin jaune. Mais qu’il s’en est abstenu comme les Beatles s’en étaient déjà chargés…
Le New-Yorkais aborde avec modestie son nouveau projet. Se pâme quand on lui demande s’il voyage en business class. Julian Casablancas lui a donné ses premiers cours de guitare quand il avait 13 ans. « Je n’étais vraiment pas bon. Et je ne le suis toujours pas aujourd’hui. Mais allez écrire un morceau à la batterie… »
La puce à l’oreille
Aussi simple que cela puisse paraître quand on fait partie des Strokes et possède un manager, voler de ses propres ailes reste délicat. « Evidemment, ça aide, reconnaît Moretti. Les portes des maisons de disques sont ouvertes. On est prêt à vous écouter. N’empêche que comme pour tout le monde, il est assez intimidant de se lancer. De faire écouter ses chansons à quelqu’un pour la première fois. Surtout quand tu voues autant de respect à celui qui écrit les morceaux de ton groupe. Ce n’est pas parce que tu peins chez toi que tu te sens près à exposer dans une galerie. La musique est à mes yeux quelque chose de très personnel. »
Tellement personnelle qu’elle colle parfois à la peau. Les récents disques solo de Dan Auerbach et de Conor Oberst, par exemple, restent fondamentalement dans l’esprit des Black Keys et de Bright Eyes.
« Nous, nous ne nous sommes jamais retenus ou inquiétés pendant la confection des chansons de Little Joy parce qu’elles sonnaient trop Strokes, reprend Moretti. Nous avons parfois éprouvé ce sentiment en écoutant ensuite le résultat mais nous avons surtout veillé aux besoins des morceaux. »
Nombre de musiciens détestent le terme de side project. Il laisse sous-entendre que certaines directions artistiques seraient plus importantes que d’autres alors qu’elles reflètent toutes les différentes facettes de leur personnalité. Il représente aussi en quelque sorte un affront à leurs nouveaux partenaires de jeu. « Je ne suis qu’un tiers de Little Joy, insiste Fab. Ce n’est pas mon groupe. C’est le nôtre. »
Moretti et Rodrigo Amarante, l’un de ses comparses, maîtrisent le sujet. Ils ont participé à l’enregistrement de Megapuss, le projet de Devendra Banhart et de Greg Rogove . « Ce disque découle d’une envie. Envie que nourrissait Devendra d’enregistrer ce que bon lui semblait. Librement. Sans qu’on l’attache à son nom. Imaginez ce que signifie l’étiquette d’artiste solo? Si le guitariste ou le batteur est à côté de ses pompes, les gens sortent de la salle en se disant que c’est Devendra Banhart qui a foiré. »
Elvis, Dylan et Albarn…
Drôles, décalés, futiles… Les side projects réservent parfois d’énormes surprises. Weezer a joué des reprises de Nirvana et d’Oasis sous le nom de Goat Punishment. Le King of Convenience Erlend Oye fait dans l’électro avec The Whitest Boy Alive (nouvel album le 27 février). Green Day s’est écarté du punk avec les Foxboro Hot Tubs. Tandis que les rockeurs de Babyshambles, des Arctic Monkeys et de Reverend and the makers font du hip hop avec Mongrel.
Ce dernier cas de figure tient autant du supergroupe que du side project. Dans le domaine, certains resteront, du moins sur papier, éternellement inégalables. Ainsi, par le plus grand des hasards, le 4 décembre 1956, Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, Carl Perkins et Johnny Cash jammaient à Memphis dans les studios Sun de Sam Phillips, formant le Million Dollar Quartet. Autre génération. A la fin des années 80, Bob Dylan, George Harrison, Tom Petty, Jeff Lynne et Roy Orbison fondaient les Traveling Wilburys. Dans un passé encore plus récent, pour la pétaradante B.O. du film Backbeat racontant l’histoire du cinquième Beatles, Thurston Moore (Sonic Youth) a même collaboré avec Mike Mills (REM), Greg Dulli (The Afghan Whigs) et Dave Grohl (Nirvana).
Certains musiciens sont de véritables schizophrènes. Chez les barrés, le Faith No More Mike Patton a monté Mr Bungle, Fantômas, Tomahawk et Peeping Tom. Transformant tout ce qu’il touche en or, Damon Albarn a délaissé Blur pour Gorillaz, Mali Music et The Good, The Bad and The Queen… Tandis qu’en Belgique, l’ex-dEUS Rudy Trouvé reste le roi (désolé Albert). Indétrônable puisque recensant sur son CV Dead Man Ray, Kiss My Jazz, Gore Slut, Lionell Horowitz, I Hate Camera et The Love Substitutes…
Julien Broquet
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici