Viggo Mortensen en mode Soprano

Voilà un moment déjà que l’on était sans nouvelles de Viggo Mortensen, un petit peu plus de deux ans et Captain Fantastic précisément, lorsqu’il quittait son paradis autarcique pour embarquer avec sa marmaille dans un road trip insolite à travers les États-Unis. L’acteur reprend aujourd’hui la route à la faveur de Green Book, le road movie que signe Peter Farrelly. La comparaison s’arrête là, cependant, l’histoire, inspirée de faits réels, se situant en 1962, et racontant le périple dans le sud états-unien ségrégationniste de Doc Don Shirley, un pianiste noir, et de Tony Lip, le chauffeur italo-américain qu’il avait engagé pour la circonstance, un videur plus habitué à jouer les gros bras qu’à parler philosophie de l’existence.

Pour camper ce dernier, Mortensen a payé de sa personne, prenant une vingtaine de kilos au passage, pas un obstacle majeur à l’en croire: « N’importe qui peut manger. Mon souci principal, c’était d’apprendre à me conduire comme cet individu ayant vraiment existé, dont le fils était par surcroît l’un des scénaristes. Je voulais absolument être dans le bon. Comme comédien aux États-Unis, on est parfaitement conscient du fait que certains des meilleurs acteurs du cru sont des Italo-Américains, tout comme d’ailleurs certains des personnages les plus intéressants que l’on peut voir dans des films ou des séries depuis plusieurs dizaines d’années maintenant. Quand Peter Farrelly m’a approché pour jouer ce rôle, je lui ai donc dit dans un premier temps que même si je trouvais l’histoire et le personnage formidables, je ne pensais pas que ce soit une bonne idée. Mais il n’arrêtait pas de me répéter que je pouvais le faire, ajoutant qu’il ne voulait pas voir des visages prévisibles dans les rôles principaux, mais bien de bons acteurs, crédibles dans ce contexte. » Le réalisateur saura se montrer persuasif, comme David Cronenberg en son temps, qui avait vaincu les réticences de l’acteur à incarner Sigmund Freud. « Jouer quelqu’un ayant existé implique toujours une responsabilité plus grande, afin que la voix, le comportement, l’attitude sonnent juste. Ça vaut même pour un petit rôle comme William S. Burroughs dans On the Road , de Walter Salles. Mais ça m’a toujours plu. »

Un remède sucré

Au-delà de sa métamorphose physique, et de ses intonations (nourries notamment de l’écoute attentive des Soprano, issus du même quartier que son personnage), sa composition dans Green Book est de celles qui marquent les esprits, à tel point que les rumeurs d’Oscar vont déjà bon train, après ses nominations pour Eastern Promises et Captain Fantastic. Son duo avec Mahershala Ali, la star de Moonlight, est de ceux qui crèvent l’écran, emmenant ce buddy movie associant classiquement les contraires en terrain hautement savoureux. Pour autant, le film aborde aussi des questions sérieuses. Celle du racisme, notamment, qui était encore la norme de nombreux États de l’Union à l’époque, et dont les deux protagonistes vont faire l’expérience de plein fouet, devant au passage surmonter leurs propres préjugés. Un sujet loin d’être épuisé, du reste, comme l’actualité, en Amérique et ailleurs, ne cesse de le seriner.

Et une dimension que Viggo Mortensen prend de toute évidence à coeur, envisageant les possibles retombées du film: « Green Book a l’avantage d’être situé en 1962. On ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un film de gauche ou de droite, ni qu’il épouse le point de vue noir ou blanc. On sait comment les gens pensaient à l’époque, et ce qu’étaient les lois dans certaines parties des USA, où le Green Book était nécessaire, parce que le racisme était à ce point institutionnalisé que les Afro-Américains devaient y recourir pour assurer leur propre sécurité, et avoir des endroits où pouvoir dormir, manger ou faire le plein d’essence. Il n’y a pas de débat à ce sujet, et l’on peut simplement s’amuser et se laisser émouvoir à la vision du film. Il réussit toutefois quelque chose de très difficile, à savoir combiner les qualités d’un bon divertissement et parler d’un sujet important. Il le fait sans point de vue idéologique spécifique et a donc une chance d’être populaire, et d’être vu dans de petites villes en Alabama, au Texas, en Géorgie, en Suisse ou ailleurs. L’incompréhension et les conflits découlent souvent de la peur de l’inconnu et de la différence. (…) Une histoire comme celle-là est aisément transposable. Je pense qu’instinctivement beaucoup de gens, dans des endroits fort conservateurs, aux États-Unis et ailleurs, vont prendre du plaisir devant ce film, mais aussi, peut-être, reconsidérer leur façon de voir les autres. C’est possible. Un remède passe parfois plus facilement avec du sucre… »

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