Serge Coosemans

Vers un retour progressif aux émissions normales…

Serge Coosemans Chroniqueur

Pas facile, quand on tient une rubrique par essence futile sur la nuit, de se remettre à écrire après des attentats, la promesse d’un cirque sécuritaire, la menace meurtrière et les para-commandos dans les rues. Serge Coosemans s’y essaye, promettant un retour progressif aux émissions normales. Saison de Route, S04E19.

Terrorisme ou pas, en janvier, ce n’est jamais facile d’écrire sur la nuit et la fête. C’est la saison creuse, l’offre est minimale, les gens digèrent encore leur Saint-Sylvestre et préfèrent claquer l’argent qui leur reste dans les soldes plutôt que dans les bars et les discothèques. Il faut dire que les rares soirées organisées ne sont pas non plus franchement affolantes et ce n’est que logique. Pourquoi programmer quelque-chose de bon, donc éventuellement de cher, quand on n’est même pas certain d’entrer dans ses frais? Janvier est et sera toujours le mois de la démarque, du vieux briscard local qui colle au comptoir, du type pour qui passer des disques en début d’année est le deuxième job de saison idéal, juste après s’être pavané dans les rues commerçantes déguisé en Père Noël.

Résultat des courses: mes camarades guindailleurs et moi-même, la semaine dernière, on s’est retrouvés, pour une fois sans aucun alibi musical ou festif, dans un bar pas du tout branché et quasi-vide, assis à papoter en éclusant des vodka largement servies. Ambiance Café du Commerce, à discuter de problèmes de voisinage, de problèmes de mutuelle, de problèmes d’os qui craquent, mais aussi de dauphins et de Charlie. C’est dingue comme tout le monde a sa petite idée sur Charlie, son mot à dire sur Charlie, sa grosse connerie à balancer sur Charlie. Dimanche dernier, au moment de me mettre à écrire ma chronique de la semaine, c’est donc tout ce que j’avais sous le coude: des notes de terrain avec des types à moitié bourrés qui causent de Charlie. Ça aurait pu faire un papier encore relativement marrant, difficile à écrire, de nature à provoquer certaines réactions pavloviennes outrées, mais potentiellement marrant.

Il se fait juste que je ne me sens pas suffisamment intégré au monde des médias que pour me sentir obligé de produire sans aucun recul ni de véritable réflexion du brouhaha à ajouter à la cacophonie ambiante dès que la société semble basculer vers l’inconnu et dans la terreur. Depuis le 12 septembre 2001, je me vois comme l’un de ces petits zoziaux qui picorent sur le dos des hippopotames. Quand j’ai assez bouffé, je m’envole. Le mastodonte, lui, continue à s’enfoncer dans la boue et il semble aimer ça. Quand ça me dépasse, moi, j’ai plutôt tendance à me taire, à me murer même. C’est pourquoi je ne serai jamais un bon petit soldat de cette corporation d’enfonceurs de portes ouvertes, d’experts de l’approximation et de pompiers pyromanes qui me fait pourtant bouffer. Le 12 janvier 2015, je n’avais tout simplement rien à vous présenter de décent, d’intéressant ou même de distrayant. Vous auriez voulu, vous, d’un papier moqueur sur Bob Sinclar et la Star Ac pour deejays le lendemain d’une journée aussi symbolique, confuse, traumatique et déstabilisante que dimanche dernier?

Une semaine plus tard -mais quelle semaine!-, c’est à peine différent. J’aurais cela dit très bien pu écrire ce papier sur Bob Sinclar ce coup-ci mais, comme disait ce bon Kwak mercredi dernier, ça semble tellement futile de parler de musique en ce moment que pfiouuuu… J’aurais pu contacter des gens que je compte interviewer dans le cadre de chroniques futures sur les boîtes noires de l’horeca ou les nouveaux gadgets de reconnaissance musicale de la Sabam mais j’ai passé beaucoup trop de temps à me laisser distraire par la mise en scène de l’info, sa transformation en feuilleton anxiogène; ce qui m’a par ailleurs fait sentir beaucoup trop crevé que pour sortir le soir. Cette semaine, j’ai lu Soumission de Michel Houellebecq; comme distraction par rapport à l’info, il y a mieux. Cette semaine, j’ai vu le film 71, annoncé comme un survival bien bourrin où un jeune soldat anglais est perdu à Belfast en 1971 alors qu’il s’agit en réalité d’un thriller qui dénonce les attaques false flag des services britanniques en Irlande du Nord; fait historique avéré qu’il m’étonne de ne pas davantage entendre réutilisé dans les actuelles théories du complot.

Cette semaine, on m’a aussi interviewé au sujet des tendances musicales qui pourraient cette année émerger mais la conversation a vite dévié vers la présence de militaires dans les rues. J’ai déjà connu ça, me suis-je entendu déblatérer, à l’époque des CCC et des Tueries du Brabant: « En revenant de boîte, il arrivait même quelques fois que l’on se fasse fouiller la bagnole façon Gestapo par des gendarmes armés mais ça ne nous a tout de même pas empêché de bien nous éclater sur la new-beat. » J’avais à peine fini cette phrase que ça a enfin fait plop dans ma tête. Plop comme un bouchon de champagne, pas plop comme une balle qui vous éclate le thorax. Ça a fait plop comme une envie de new-beat, comme une envie de redanser comme un con, d’écrire à nouveau des trucs légers et de laisser les chroniques parlant de terrorisme à ceux dont c’est sinon l’expertise, du moins le fond de commerce ou même le simple kif de fond de slip. Evidemment, cette semaine, pour un papier 100% terrorism-free, c’est râpé. Mais on y vient, d’autant que janvier n’en a plus pour très longtemps, que l’industrie de la distraction va redémarrer de bon pied. Le retour progressif aux émissions normales, en d’autres termes. Life goes on.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content