Une part d’ombre, « le fruit d’une amitié poursuivie dans la création artistique »

Samuel Tilman © DR
Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Samuel Tilman et Fabrizio Rongione créent l’angoisse dans Une part d’ombre mais il n’y a rien de sombre dans la complicité du metteur en scène et du comédien.

Un meurtre est commis. Accompagné d’un vol. L’enquête démarre difficilement. Mais progressivement vient l’affreux soupçon. Et si David, jeune père de famille comblé, avait quelque chose à se reprocher? Une part d’ombre est le premier long métrage de Samuel Tilman. Fabrizio Rongione y tient le rôle principal. Ces deux-là se connaissent et travaillent ensemble depuis longtemps déjà. La complicité de l’écrivain-scénariste-metteur en scène et du plus italien des comédiens belges ne cesse d’engendrer de nouvelles créations, comme ce film au suspense prenant et qui sort ces jours-ci (lire aussi la critique du film). Tilman l’a écrit et réalisé, Rongione y signe une interprétation superbe autant que troublante. On retrouve Samuel et Fabrizio à Ixelles, non loin de la place Flagey. C’est là, sur un coin, qu’ils ont installé les locaux sobrement design de la société de production Eklektik, fondée ensemble voici treize ans. « L’ULB nous a réunis, puis le café-théâtre, et puis Eklektik, que nous avons créé pour professionnaliser notre envie de cinéma« , commente Rongione. Les deux hommes avaient déjà collaboré dans l’écriture pour la scène (Les Fléaux dès 1998, le remarquable seul en scène À genoux en 2002-2003 suivi plus tard -en 2009- d’un non moins réussi On vit peu mais on meurt longtemps), ils allaient désormais le faire aussi pour des films tels le court métrage de Tilman Voix de garage (2006), le long de Joachim Lafosse Ça rend heureux (la même année) et aujourd’hui l’intense et angoissant Une part d’ombre. « Je ne serais pas devenu comédien sans ma rencontre avec Samuel« , confie Rongione que Rosetta des frères Dardenne allait « faire naître au cinéma » après un passage par la case Conservatoire. « Eklektik a été la cristallisation d’un désir, pas celui de devenir producteurs mais simplement de créer les conditions matérielles permettant d’écrire et de faire des films. » Fabrizio s’est, depuis, retiré de la production pour se consacrer pleinement à sa vie d’acteur, tout en travaillant plus que jamais avec son complice et ami, notamment pour plusieurs éditions de la cérémonie des Magritte, écrivant ensemble des textes que l’un dirait tandis que l’autre mettrait la soirée en scène.

Fabrizio Rongione
Fabrizio Rongione

Casseurs d’images

« Une part d’ombre est le fruit d’une amitié poursuivie dans la création artistique, une amitié plus importante que le cinéma, et qui ne s’arrêtera pas même si nous devions cesser de faire des films ou des spectacles ensemble« , affirme un Samuel Tilman devant la caméra duquel Fabrizio Rongione atteint des sommets. « J’ai pu faire ça parce que j’avais une confiance totale en lui, explique le comédien. Le jeu d’acteur est une chose complexe mais je me suis rendu compte que c’est la confiance qui me fait aller le plus loin. Ici je ne me suis pas posé trop de questions sur le personnage comme je peux le faire sur d’autres films. Et paradoxalement, la profondeur que j’ai pu atteindre avec ce rôle est née du fait que je n’y ai pas pensé, que je me suis laissé aller, que je me sentais à la maison en travaillant pour Samuel, du fait aussi qu’il a laissé beaucoup de place à l’improvisation. » Rongione compare le processus du comédien à celui d’une psychanalyse, « l’enjeu étant de se libérer des images qui peuvent nous conditionner« . « Si quand tu lis un scénario tu te crées une image, il est déjà trop tard, c’est déjà quelque part foutu. Alors quand ça t’arrive il faut essayer de casser cette image. J’y suis parvenu plusieurs fois. Le mieux étant d’arriver à lire un scénario sans se faire une image… Quand tu y arrives, c’est génial! C’est pour ça que certains acteurs connus n’apprennent pas bien leur texte à l’avance… Dans Une part d’ombre , je fais des choses qui m’ont surpris moi-même! »

À propos de son complice, Samuel Tilman célèbre « un acteur aux facettes très multiples, que je voyais aller au bout du personnage de David, sur lequel, forcément, on se projette. Car quand tu es soupçonné, quoi que tu fasses, de toute façon tu es rempli de la projection de l’autre. Alors on s’est bien gardés d’aller vers un personnage qui se défend trop fort, ou qui au contraire se prête trop aux soupçons. On a travaillé par variantes. Pour les scènes d’interrogatoire policier, par exemple, je demandais à Fabrizio de proposer une version où il répondait du tac au tac, en étant très agressif, et une autre dans le plus total détachement. Avec aussi des gradations. Au montage, tout s’est articulé organiquement, très loin parfois de l’hypothèse de départ. Parce qu’on avait pris le temps, parce qu’aussi je n’avais pas hésité à déstabiliser Fabrizio, ce que je n’aurais peut-être pas fait avec un autre comédien… »

Les deux amis prolongent leur complicité dans les chroniques de l’émission de radio Café serré (sur La Première), s’étonnant parfois eux-mêmes d’une audace de plus en plus assumée. « Travailler avec Samuel m’aide beaucoup dans l’apprentissage de mon métier, déclare Rongione. Un acteur progresse par déclics. Et avec lui, je peux en parler. Et même quand on n’en parle pas, il y a toujours quelque chose qui « infuse » entre nous et qui nous fait avancer, inconsciemment. » « On se comprend sans devoir expliquer, on brainstorme vraiment très bien!« , s’exclame Fabrizio. Samuel concluant avec enthousiasme: « Nous sommes très proches entre autres sur la manière de voir telle ou telle thématique, tel ou tel enjeu. Mais en même temps, si nous écrivions séparément, ça donnerait des textes on ne peut plus différents. Il y a quelque chose d’à la fois clair et mystérieux dans ce travail à deux. » Un travail que le duo aimerait un jour prolonger au cinéma dans « une vraie comédie« . À suivre…

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