Under cover: Grégory Duby devient Solah

“Je n’utilise plus que des photos de vacances pour ma promo. Parfois, j’ai l’air con avec un coquillage à la main. Mais certains artistes célèbres ont deux photos et ça fait quinze ans qu’ils les trimballent.” © National
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Grégory Duby réinvente Le Paradis blanc et L’Été indien, William Sheller et Pierre Bachelet sur le premier album de Solah. Un disque instrumental à la guitare nocturne et fragile.

Sur la pochette, qui fait écho au Ballads de l’improvisateur anglais Derek Bailey, resplendissent le visage et les grands yeux de sa mère. Grégory Duby leur rend à tous les deux hommage avec Ballades. Un disque sur lequel il revisite Un homme heureux, Si maman si et Que je t’aime tout seul à la guitare, dans des versions instrumentales qui renvoient aux débuts de Dans Dans et aux B.O. des films de mafieux… “J’ai commencé à enregistrer des reprises il y a longtemps avec mon projet solo Jesus Is My Son. J’en travaillais de plus en plus. Je jouais de temps en temps Les Mots bleus . Ça marchait toujours en concert. Je me suis frotté à Enjoy the Silence une fois ou deux. Ou encore au guitariste argentin Atahualpa Yupanqui. Au décès de ma maman, j’ai joué deux morceaux et je me suis mis en tête dans la foulée d’enregistrer un album de reprises, un peu axé sur elle, sur tout ça. J’ai raccroché l’idée à ce disque de reprises de Bailey. Et j’ai mélangé le tout.

Je n’utilise plus que des photos de vacances pour ma promo. Parfois, j’ai l’air con avec un coquillage à la main. Mais certains artistes célèbres ont deux photos et ça fait quinze ans qu’ils les trimballent.

Il a aussi tenu à changer de nom et a troqué Jesus Is My Son contre Solah (le titre d’un de ses disques). Solah pour Songs of Love and Heat. Un clin d’œil détourné au Songs of Love and Hate de Leonard Cohen. “ C’est joli, non, “Chansons d’amour et de chaleur”?” Autant que ses versions lentes, déchirantes, dépouillées et fragiles de chansons à succès. “ Je ne pense pas que ce sont des morceaux que ma maman aimait bien. Un ou deux peut-être. Elle était fan de Claude Barzotti, qui ne collait pas des masses à mon univers. J’ai quand même repris Madame , mais j’ai vraiment dû chipoter pour arriver avecà quelque chose qui me plaisait.” De manière générale, les chansons de Ballades sont liées à ses souvenirs. “ Ces morceaux me parlent parce qu’ils représentent mon passé. Je viens des environs de Charleroi. Il y a quand même pas mal de titres liés à l’Italie sur le disque. C’est mon enfance.

Les parents de Grégory avaient repris un cinéma à Fleurus, le Lido, au début des années 80. “Ils ont tenu jusque début 90 mais ça a foiré avant. Quand le Carollywood a débarqué, c’était la mort. Tous les cinémas de quartier ont morflé. Ce n’était pas estampillé cinéma indépendant comme le Nova. Puis, dans une petite ville comme Fleurus, les gens veulent voir les films qu’on voit ailleurs. En attendant, il y avait une cafétéria. J’y ai entendu beaucoup de chansons italiennes en jouant à la belote.”

© National

Souvenirs, souvenirs

Croisé au sein des furieux K-Branding et de Zoho, “du harsh noiseà très haut volume; on faisait des paysages sonores mais très très fort”, Grégory Duby a sorti en janvier un album avec son projet Secte. “Un duo guitare-batterie powerfolk. Entre le folk et le rock, quoi.” Il est aussi membre des Martiens Go Home, un collectif sur Radio Campus qui propose une improvisation chaque semaine -“ Une heure tous les jeudis soirs quand j’ai pas concertet cogère le distributeur de disques Mandaï -“ Genre Pias en mille fois plus petit”.

Ballades est sorti le 29 mai, le jour de la fête des mères en France. “Ouais, un dimanche. C’est bizarre, hein? Mais à notre niveau, ça n’a aucune importance. D’ailleurs,ça ne change rien.” La beauté du geste, la poésie de la démarche… “Au début, c’était censé être un truc intimiste, à la maison. Un cadeau de famille. Je me suis posé beaucoup de questions sur les gens qui enregistrent des albums hommages. Psychologiquement, c’est bizarre. En tant qu’artiste qui vend lentement ses disques, je me dis que je vais voir la pochette pendant quatre ou cinq ans. À chaque concert, je vais avoir cette photo de ma maman devant moi… Ça me chiffonne. J’espère que le stock partira plus vite. Je n’y avais pas pensé avant. Le fait de jouer ces chansons devant un public me perturbe moins. J’ai l’habitude de proposer des morceaux tristes et de les interpréter sur scène.”

D’après lui, Grégory Duby ne sait faire que ça. Des trucs super mélancoliques. “Là, j’ai pris des mélodies que j’aimais bien et je les ai transformées. Du moins je les ai adaptées à mon jeu. C’était la partie la plus compliquée. Arriver à les apprivoiser. Parce que jouer les morceaux tip-top,ça ne m’intéresse pas. Il y en a plein des reprises instrumentales de ces chansons sur Internet et elles n’apportent pas grand-chose parce qu’elles sont jouées comme sur l’album. Moi, c’est pas du tout ça. J’essaie de simplifier, d’amener un autre truc. De les oublier, aussi, parfois, pour changer un peu les notes.

Faut-il parler de reprise? De relecture? De (ré)interprétation? De réinvention? “ De réarrangement peut-être? Je ne sais pas. Je me vois comme quelqu’un qui aurait pris la mélodie par la main et qui serait parti avec elle ailleurs. Je reprends du début. J’oublie qu’il y a eu des textes. J’essaie de reconstruire. De toutes façons, il y a réinterprétation. Le but n’est pas de copier. Moi, je me concentre sur la mélodie. Et souvent, ça ne fonctionne pas. Parce qu’elle n’est pas assez riche. J’ai repris Famous Blue Raincoat de Leonard Cohen. Quand j’écoute cette chanson, je la trouve extrêmement triste. Elle est magnifique. Mais la mélodie n’en vaut pas la peine. Elle n’est pas assez riche en elle-même pour être jouée de manière simplifiée. Parfois, j’essaie et je trouve le truc ennuyeux. Parce que la mélodie n’est pas intéressante. Elle n’est pas assez intéressante en tout cas pour être mise en avant à ce point.”

Avec Ballades, Solah permet d’apprécier artistiquement des morceaux qui appellent davantage au souvenir qu’au plaisir musical. “Je sais que certaines sont un peu kitsch mais elles font partie de moi. De ma vie. Puis, il y a tout le côté émotionnel qui tourne autour. Certaines chansons me font pleurer à chaque fois. Par rapport aux souvenirs personnels et aux paroles. Un peu des deux.” Nefertiti de Miles Davis lui rappelle l’attente d’un train sur le quai à la gare de Charleroi. Le dernier live de Coltrane, une promenade en rond dans le jardin en rentrant à la maison pour ne pas avoir à interrompre son écoute… “Le souvenir, c’est pour ça aussi que les gens achètent des albums en concert? Quand on va voir un groupe et qu’on rentre chez soi avec un disque, c’est, je pense, quelque part pour se rappeler la soirée.

Ballades, distribué par Cheap Satanism. ***

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