Wolgang Tillmans: la relation houleuse entre photographie et vérité
Du 15 février au 11 juin, Wolfgang Tillmans s’expose au Tate Modern de Londres. Photographe du quotidien, observateur des scènes musicales allemandes et collectionneur invétéré de coupures de presse, il mêle dans son oeuvre poésie et questions politiques. L’occasion de se pencher sur ces photographes contemporains qui interrogent les liens entre leur art, les médias et la vérité.
C’est un grand débat philosophique et un malentendu ancestral: la photographie, parce qu’elle capture une image de la réalité, nous donnerait un accès direct à la vérité. Depuis ses origines et aujourd’hui plus que jamais, information et photo ont donc toujours été liées. La remise des prix du World Press Photo 2017 nous l’a d’ailleurs récemment rappelé: la photographie est un art, mais aussi une forme de journalisme. Comme on ne questionne pas souvent la presse sur sa fonction dans une construction de l’information, la photographie n’est pas fréquemment remise en cause comme étant fondamentalement productrice d’illusion. Pourtant, l’artiste y choisit un point de vue, une perspective sur la réalité qu’il enferme dans un cadre en enclenchant son appareil. L’image produite ne permet donc pas d’accéder directement au réel. Dans une vidéo réalisée par Canon, 6 photographes réalisent le portrait d’un homme. Ils produisent 6 visions différentes d’un même objet et prouvent qu’en photographie, il n’y a pas une vérité mais une multitude de points de vue possibles.
Et si on passe outre ces débats philosophiques, d’autres polémiques font surface. Ces dernières années, de nombreux magazines ont été attaqués sur leur usage immodéré du programme de retouche Photoshop. Pourtant, photographie et cinéma sont depuis leurs origines des arts de la retouche. Tout le monde voulait voir son image embellie dans les portraits du 19e siècle et les spectres parisiens d’Atget montrent que les artistes ont de tout temps voulu insuffler de la fantaisie au réel.
Dans le domaine du photojournalisme, les critiques sont plus acerbes encore lorsqu’un photographe veut faire passer le « faux » pour du « vrai ». En 1936, le photoreporter Robert Capra provoquait le premier scandale du genre avec Mort d’un milicien. En pleine guerre d’Espagne, l’image du soldat républicain tombant sous les balles fût soupçonnée de n’être qu’une mise en scène, ce qui fût plus tard avéré. Aujourd’hui encore, on se demande jusqu’où on peut manipuler une photo de presse sans que cela ne soit fatal à sa véracité. David Campbell, spécialiste de la culture visuelle, a par exemple été chargé par le World Press Photo d’enquêter sur l’intégrité de l’image à l’ère de sa manipulation généralisée.
Montage, mensonge, désinformation et vérité… Ces questions sont donc au coeur de la photographie.
Brexit, journaux et boites de nuit
Wolfgang Tillmans prend possession du Tate Modern de Londres à partir de ce mercredi 15 février. Des natures mortes contemporaines, des images de boites de nuit, des corps nus et provocateurs, des célébrités… L’artiste y propose des compositions visuelles dans lesquelles l’assemblage des photos importe autant que chaque image prise séparément. Sur de larges tables, il dispose aussi ses collections de journaux, de magazines et d’images. Parmi eux, des posters pro-européens récoltés lors du récent référendum du Brexit. Il avait déclaré dans une interview au Last Observer qu’il voulait être impliqué dans la marche du monde. « Les questions de goût ou de beauté ont toujours eu une charge politique pour moi. Est-ce que vous trouvez deux hommes qui s’embrassent dégoutant ou beau? C’est une question d’esthétique mais aussi de politique. » En manipulant et en associant ces éléments, il questionne les représentations médiatiques et montre que chacun peut leur donner le sens qu’il veut. Ces installations s’inscrivent dans son projet Truth Study Center. Le musée londonien fait honneur à une oeuvre sensible qui mêle expérimentation artistique, poésie et réflexion politique.
Evitez les clichés: quand la photographie ne dit pas la vérité
D’autres photographes posent dans leurs oeuvres la question de la vérité, de l’information et de sa construction.
Les photos de Cristina de Middel se situent à l’intersections des faits et de la fiction. Abandonnant une carrière de photojournaliste, l’artiste a décidé de créer des mondes fictionnels étonnement vraisemblables afin de mettre en garde le public contre les prétendues vérités diffusées par les médias de masse. « Si on maitrise le langage de la vérité, on peut reconstruire une histoire qui a l’air totalement réelle. C’est tellement facile de nos jours que ça en devient très dangereux. » Dans sa série The Afronauts, elle donne vie au projet oublié de la Zambie de concurrencer les Russes et les Américains dans la conquête de l’espace.
James Casebere réalise quant à lui des maquettes de lieux imaginaires et inspirés du monde contemporain pour les photographier. L’éclairage, le point de vue et les dimensions impressionnantes des tirages donnent une impression de réalisme à ces images. Les scènes qu’elles représentent sont pourtant de pures constructions. La limite entre réalité et fiction semble floue dans ces représentations.
Gilles Saussier confronte dans son projet Le Tableau de chasse les clichés qu’il avait pris de la révolution roumaine en 1989 aux souvenirs qu’en ont les acteurs de l’événement 15 ans plus tard. En plus de donner la parole à des témoins peu écoutés, il réalise une critique du photojournalisme. Dans son travail plus récent Studio Shakhari Bazar, il expérimente la photo documentaire. Le photographe avait exposé dans ce quartier hindou de la vieille ville de Dhaka en 1997. De retour 4 ans plus tard, il observe la dissémination des images, distribuées parmi les habitants, et dresse le portrait de ceux-ci.
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