Until Dawn: vivre et laisser mourir longtemps
Slasher movie interactif, Until Dawn transcende la culture juvénile américaine de masse pour une expérience analytique proche de celle de Milgram. American Pie Horror Story.
Dans cette luxueuse cabane au Canada tapie au fin fond des bois enneigés, une mauvaise blague d’étudiants américains transformait un week-end à la montagne en sauterie mortellement tragique. Un an plus tard, en mémoire des jumelles décédées, leur frère Josh rassemble à nouveau le groupe présent à Blackwood Pines au moment du drame. Le recueillement cède rapidement la place aux préoccupations bassement sexuées chères à la téléréalité d’Endemol. Là où les concepteurs d’Until Dawn s’en réfèrent en interview au Psychose d’Hitchcock et au Shining de Kubrick, c’est davantage aux teen movies du défunt Wes Craven, à Butterly Effect ou à Souviens-toi l’été dernier, qu’on pensera, tant le surjeu des acteurs (qu’on a pu voir dans les séries Heroes, Mr Robot…) donne lieu aussi à son lot de morts stupides typiques des teen movies de série B.
Au travers des huit personnalités contrôlables, l’interaction porte sur un choix de dialogues et d’actions à décider rapidement. Un droit de vie et de mort perpétuellement dichotomique et cornélien. Rassurer ou provoquer? Mentir ou dénoncer cette liaison qu’on aurait préféré ne pas découvrir? Les affinités sélectives des protagonistes se modifieront dès lors au gré de nos choix, et développeront l’arborescence narrative prônée par cette théorie de « l’effet papillon ». Un vivarium malsain qui rappelle les subtils rouages en matière de huis clos du fondateur Manoir de Mortevielle (PC, Amiga, Atari ST – 1988) ou encore l’inventeur du survival horror (genre repris par Resident Evil), le révolutionnaire Alone in the Dark de Frédérick Raynal, gravant à jamais l’année 1992 dans nos mémoires de joueurs estomaqués.
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Découpée en dix actes façon TV show US, et rythmée par la traditionnelle formule consacrée « Précédemment dans Until Dawn« , la narration s’entrecoupe d’entretiens psychologiques borderlines face à l’acteur Peter Stormare au sommet de sa folie. Le système de QTE (Quick Time Events) intronisé par Shenmue sur Dreamcast rappelle les obsessions narratives de David Cage dans l’excellent Heavy Rain et Beyond: Two Souls. Des avancées en matière de narrations vidéoludiques et de cinématographies interactives qui ne furent pas sans diviser de manière souvent navrante les conservateurs du hardcore gaming autour de ce que doit être ou non un jeu vidéo.
Même si tout nous incite à fustiger la plupart des scènes et dialogues du jeu, il serait malhonnête de ne pas reconnaître qu’au final, disposer des faits et gestes ainsi que des possibles affinités de ces huit protagonistes proches de la lie de l’humanité procure un certain plaisir honteusement jubilatoire. Un pari vidéoludique intrigant qui nous poussera à rejouer les différentes scènes afin d’en apprécier tous les possibles, du meilleur au pire. Au final, les intentions de l’expérience de jeu d’Until Dawn ne dénotent pas avec cette autre interrogation concernant les filiations existantes entre les dogmes du cinéma et les possibles interactions sans cesse grandissantes qu’offre la narration au sein d’une interaction vidéoludique. Au-delà de ces enjeux, Until Dawn dépeint surtout, sans vraiment le vouloir, une société malade et bas de plafond où l’égarement dans la neige d’un téléphone rose et smart cristallise au fond des bois les grandes tracasseries et maux de notre siècle… À découvrir absolument.
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