Grand Prix ayant explosé l’applaudimètre cannois avec Close, le Gantois Lukas Dhont se confie sur ce qui a motivé ce deuxième long métrage très personnel.

Tous les enjeux de Close se trouvent en quelque sorte résumés dans la polysémie du titre même du film, qui, en anglais, renvoie aussi bien à l’idée de proximité qu’à celle de fermeture. Dans le deuxième long métrage de Lukas Dhont (Girl), l’amitié tendre et fusionnelle qui rassemble Léo et Rémi, deux préadolescents, alimente à l’école les soupçons de relation homosexuelle. Ce qui pousse le premier à prendre ses distances avec le second, et amène le récit sur le terrain du drame. Brutal… À deux jours de la fin d’un festival qui allait le voir couronné d’un très prestigieux Grand Prix, le jeune réalisateur belge répondait sans faux-semblants à nos questions sur ses motivations profondes. Morceaux choisis.
Durant l’écriture de Close, tu confiais volontiers que cette histoire était tellement proche de toi que tu n’aurais pas pu en faire la matière de ton premier film. À quel point ce deuxième long métrage est-il, à l’arrivée, effectivement proche de toi?
C’est un film hyper personnel, qui me renvoie à une période très fragile de mon existence, et donc le partager aujourd’hui avec un public représente pour moi quelque chose de particulièrement intense. Plus jeune, j’étais un enfant puis un adolescent très solitaire. Je n’éprouvais pas de réel sentiment d’appartenance. Je n’étais inclus ni dans les groupes de filles ni dans les groupes de garçons… À l’adolescence, beaucoup de camarades, essentiellement des garçons, ont essayé de se rapprocher de moi. Mais parce que j’avais peur du regard des autres, voire parfois des insultes, j’ai choisi de rester très distant. Cette attitude de recul, d’éloignement, est toujours restée une blessure pour moi. Close est vraiment un film que j’ai réalisé en hommage à tous ces amis que j’ai tenus à l’écart ou que j’ai perdus. J’avais donc envie de montrer une amitié physique, fusionnelle, intime, entre deux garçons. Notamment aussi parce que je crois que ce n’est pas quelque chose que le public est habitué à voir au cinéma. Quand il est question d’une forme de sensualité entre hommes, il y a toujours la tentation de coller des étiquettes, de faire rentrer les choses dans des cases. Or j’avais précisément envie de m’approcher de la beauté et de la fragilité qu’il y a à voir deux garçons simplement couchés l’un à côté de l’autre dans un lit. Mais aussi de montrer comment la rupture, la distance, peuvent survenir une fois qu’ils se retrouvent confrontés au regard du monde, comment la tentation des gens de toujours vouloir mettre tout dans des boîtes peut abîmer et casser tout ça. En cela, je pense que l’histoire de Close, qui me renvoie de manière très spécifique à ma propre culpabilité, à ma propre responsabilité, est aussi très universelle. Au cinéma, la thématique du cœur brisé est souvent traitée sous l’angle de la relation amoureuse ou sexuelle, mais très peu sous celui de la relation amicale. Pourtant, je crois que beaucoup de gens peuvent connecter avec ce type très singulier de blessure.
Dans Close, chaque motif thématique semble trouver son expression visuelle à l’écran. Dans les décors, les costumes, la lumière…
Je tenais en effet constamment à convoquer des images en accord avec les thèmes que je voulais traiter. L’omniprésence des fleurs renvoie à la fragilité des personnages, par exemple. Et j’ai beaucoup travaillé sur les couleurs. Je voulais que le début du film ressemble vraiment à un livre de coloriage, et donc à une certaine idée de l’enfance. Plus le film avance, et plus les tons s’obscurcissent. Les fleurs disparaissent et laissent place aux machines, à la brutalité de la terre… Quand Léo commence à faire du hockey sur glace, il enfile un costume qui enferme, qui pèse lourd, qui impose le port d’un masque… Dans Girl, la tenue de danse était au plus proche du corps, et n’en dissimulait rien. Dans Close, la tenue de hockey isole et tient à distance, elle emprisonne le personnage comme le fait sa culpabilité.
On sait que ta cinéphilie nourrit beaucoup ton écriture. Tu citais par exemple Les 400 Coups de François Truffaut, Ratcatcher de Lynne Ramsay, Le Retour d’Andreï Zviaguintsev ou encore The Tree of Life de Terrence Malick durant l’élaboration de Close…
C’est vrai que j’ai regardé, en amont, énormément de films marquants avec des perspectives d’enfants sur le monde. Ça m’a inspiré, mais ça m’a surtout aidé à définir plus précisément la perspective que moi j’avais envie de montrer. J’ai réalisé qu’on voyait peu de films épousant le point de vue d’un garçon qui rentrait en conflit avec le regard des autres sur des questions de dialectique du masculin et du féminin. Je me suis demandé où étaient les images de douceur et de fragilité entre garçons hors de toutes considérations amoureuses ou sexuelles. En un sens, j’ai fait ce film pour répondre aussi à ce manque, à cette absence.