Série instruments insolites (7/7): Wah-Wah, pédale forte
Engin inventé en 1966 « pour imiter la voix humaine », la pédale Wah-Wah est à la guitare ce que Jimi Hendrix est à l’électricité: un supplément cosmique.
George Harrison, Beatles mort en 2001, dédie en 1968 une chanson à sa 6 cordes, While My Guitar Gently Weeps. Après la séparation du quatuor, sur son album All Things Must Pass sorti fin 1970 , il y rajoute Wah-Wah, où choeurs et guitare hurlent à la complainte du musicien blessé. Les interprétations sur le sens du titre, écrit après une session de Let It Be particulièrement vindicative entre McCartney et Lennon, divergeront toujours: réarrangement d’un poème dédié à Khrisna, slang de Liverpool pour « mal de tête » ou synonyme de Blabla. Peu importe, Wah-Wah atteste que la pédale du même nom est définitivement consacrée par la culture pop sixties. Cette onomatopée baptise l’engin d’une compagnie américaine -Warwick Electronics Inc/Thomas Organ Company- mis sur le marché fin 1966. Ce qui ressemble à une pédale de machine à coudre (…) permet de faire varier la fréquence de coupure de l’instrument qui y est relié. Son filtre passe-bande accentue les fréquences et en fait ressortir, par exemple, l’effet de chat miaulant ou de cuivre flagellé. Jimi Hendrix est le premier à en tirer un univers parallèle, où les vagissements d’un présumé alien côtoient des foudroiements OVNI. Dans Voodoo Child -sorti en 1968-, il offre une démonstration de l’élasticité maximale de la pédale WW, à la hauteur des inconnus vaudouisants du titre.
Cette manière caoutchouteuse de faire muter le son original de la guitare n’est pas seulement un artifice d’époque, donc psychédélique. Même si l’empreinte est là, dans les gargouillis du Clapton période Cream ou de Jimmy Page sur Dazed And Confused, la WW franchit genres et générations. La pédale traverse l’histoire du rock, passe de l’évocation du chant des baleines de David Gilmour aux Slasheries du Sweet Child O’ Mine de Guns N’Roses.
Wah-Wah général
Aujourd’hui, surplombant son énorme rack d’effets, Matthew » Muse » Bellamy sait appeler à la rescousse sa vieille copine WW. Des « anti- » guitar heroes tels que Tom Morello de Rage Against The Machine ou John Frusciante s’en servent pour atteindre des textures inusitées. S’étendant au reggae, au funk, au hard, la pédale s’empare également d’autres instruments: la basse, cousine de la guitare, s’y met naturellement chez les funkistes barjots de Parliament. Le jazz-rockeux Jean-Luc Ponty y branche son instrument, le violon, tout comme le saxophoniste David Sanborn, auteur du solo Wah-Wahisé sur le Young Americans de Bowie. Sans oublier la trompette par l’intermédiaire de son plus illustre protagoniste, Miles Davis. Chamboulé par les passerelles incendiaires entre jazz, pop et funk, Davis use de la Wah-Wah sur plusieurs de ses disques seventies, véritables jungles de sons en collision: à peine un paradoxe puisque l’une des premières intentions de la WW était d’imiter le rendu d’une trompette avec sourdine! Sauf que la pédaleuse électronique a remplacé la bonne vieille embouchure qui se mettait dans le pavillon de l’instrument. Un autre genre d’intimité.
Philippe Cornet
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