Pierre Radisic, une vie en images
Infusées à la musique, la peinture, la géométrie et l’architecture, les photographies virtuoses de Pierre Radisic fascinent et « perturbent le ciboulot« .
Dès la vitrine de ce lieu hybride qu’est Le Salon d’Art, mi-galerie mi-antre dédié au raccourcissement capillaire, on s’immobilise sur le trottoir, comme frappé de stupeur. C’est que Pierre Radisic (61 ans) a déjà entrepris de nous attraper par la rétine en nous racontant une histoire dont il a le secret. Punaisé sur un pan de mur, un tirage noir et blanc évoque un jeu d’oxo hypertrophié que n’aurait pas renié Eadweard Muybridge. Le quadrillage reprend seize fois le buste de feu John Cage. La composition, agencée à partir de cinq photographies différentes, narre un shooting de deux minutes réalisé du temps où Radisic travaillait pour le festival Ars Musica. Difficile de ne pas sourire devant cette mosaïque qui montre les traits du compositeur d’avant-garde se relâcher progressivement avant de se fendre d’un éclat de rire jubilatoire. Le procédé enthousiasme, qui transforme un exercice fastidieux en vrai moment de photographie. À l’intérieur, l’oeil cherche la cohérence entre les clichés balnéaires de la salle du fond, les visages d’aïeules et les expérimentations autour de la peau. « Ce sont des images anciennes inédites, celles que je n’ai pas retenues à l’époque pour intégrer les séries sur lesquelles je travaillais. Elles témoignent de ma propension, d’inspiration musicale, aux variations. J’aime prendre un thème et tenter de l’épuiser… Je dis « tenter » car dans les faits, cela s’arrête quand moi je suis épuisé« , sourit l’intéressé. C’est une évidence: Éclats multiples livre de multiples facettes d’une vie en images.
Tout est vrai
« Ce qui me plaît, c’est de me servir d’une chose pour en montrer une autre, je veux aussi raconter une histoire à chaque fois« : tout l’art de Radisic tient en cette profession de foi. Chez lui, un dos devient une lyre, des bras se transforment en colonnades, une nuque en dune. Il s’amuse aussi à utiliser ses modèles pour faire des voyages immobiles. Ainsi de Lucky, celui qui lui a vendu son premier appareil photo, dont il se sert pour convoquer l’Afrique. Il y a également ce mannequin asiatique, surnommée Marilou, qui invite du côté de L’Homme à tête de chou (le photographe de citer « Elle s’y coca colle un doigt qui en arrêt au bord de la corolle/Est pris près du calice du vertige d’Alice de Lewis Carroll« ). Mais Radisic n’est pas l’homme d’une trajectoire linéaire. À propos de son passage, précoce, de l’argentique au numérique, il dit non sans humour: » J’ai cru que j’allais mourir dans une chambre noire mais non, finalement je mourrai devant un ordinateur comme tout le monde. » Il reste que Decisive Place, la série la plus récente, prise sur la Costa del Maresme, près de Barcelone, est celle qui rend compte de l’impressionnante maitrise découlant de 45 années de pratique. Sur une trame usée jusqu’à la moelle -« prendre des photos à la plage, c’est sans doute ce qu’il y a de plus con« -, Radisic s’empare de la mer comme d’un prétexte à une explosion formelle géométriquement et chromatiquement sublime. Nul petit arrangement de la réalité, l’intéressé s’autorisant seulement un traitement séparé des couleurs. Au spectateur de trouver le point de vue originel qui renoue avec un regard confrontant le paysage au bâti sur fond de modernisme pictural (de Mondrian à François Morellet).
Ne pas manquer le petit ouvrage L’Instant décisif, texte Georges Meurant et images Pierre Radisic, paru pour l’occasion aux éditions La Pierre d’Alun (collection La Petite Pierre).
Éclats multiples
Pierre Radisic, Le Salon d’Art, 81 rue de l’Hôtel des Monnaies, à 1060 Bruxelles. Jusqu’au 17/10. ****(*)
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