Laurent Raphaël
Me, myself and I
Par Laurent Raphaël
On a d’abord cru à un heureux hasard. Heureux car c’est le genre de télescopage qui donne du grain à moudre pour un édito 100% arabica. Que 2 des artistes les plus surexposés du moment donnent leur nom à leur album relève assurément du coup de dés chanceux. Selah Sue va tenter le grand chelem avec Selah Sue tandis que James Blake a déjà écoeuré la concurrence avec son amniotique James Blake. Un premier disque pour la miss flamande comme pour l’illusionniste anglais. Pour ne pas tirer des plans sur les 2 comètes, on se met quand même à fouiller dans les recoins mal éclairés de sa mémoire à la recherche d’autres albums homonymes (et non éponymes puisque ce n’est pas la galette qui clone son titre mais l’inverse). De préférence dans les tréfonds des discographies pour coller à notre tandem adepte de l’auto-référencement. Surprise, la pêche est presque miraculeuse.
Roxy Music avait déjà copié-collé en 1972 son blason sur son album inaugural. Pareil pour Queen l’année suivante. Et rebelote en 1974. Ou pour Madonna en 1983. Mais c’est Peter Gabriel qui est le roi de ce petit manège. Il a attrapé la floche à 3 reprises, baptisant rien moins que ses 4 premiers albums de son patronyme chéri… Ça commence à faire beaucoup pour le seul hasard. Echaudé par cette première moisson, on se dit que d’autres spécimens ont pris la relève depuis. Un petit tour dans la discothèque et dans les archives du Net et on revient les bras chargés. Aucun genre n’est immunisé. En 1984, c’est Run DMC qui poussait son cri primal sous l’enseigne maison. Dans un autre style, Mariah Carey cédait au même nombrilisme à l’aube des années 90. Là aussi pour son premier tour de piste. Un filon que doivent se refiler les musiciens d’une génération à l’autre car les années 2000 n’ont pas étouffé l’affaire. On a ainsi pris Franz Ferdinand (2004), LCD Soundsystem (2005) ou The Drums (2010) la main dans le pot de confiture. Etrange, non?
Si on écarte le manque d’inspiration, trop flagrant, comment interpréter cette poussée de fièvre autolâtre? Deux hypothèses viennent chatouiller l’esprit, qui s’additionnent sans doute. On peut y voir la marque de fabrique de cette prétention, de cette crânerie qui coulent en abondance dans les veines de la jeunesse. L’autre explication est plus psychanalytique. Et fait le lien avec la littérature. Le premier sujet d’étude de ces artistes en herbe est souvent eux-mêmes. Ils arpentent en long et en large les couloirs de leurs états d’âme, de leur mal-être à vif. Logique donc que leur sobriquet figure à l’entrée. Ces disques sont à la musique ce que les autoportraits sont à la peinture: des miroirs. Dans lesquels on se regarde avant de se jeter à l’eau ou quand le succès apporte ce capital confiance indispensable pour oser livrer son journal musical intime, comme Blur qui a attendu le 5e album pour se citer. Ou comme Philippe Katherine qui ne s’est autorisé cette coquetterie que pour sa dernière plaque. Ou encore comme Das Pop, qui a senti que le fruit était mûr à sa 3e tentative en 2009. Le rock est définitivement un exercice narcissique…
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