« Madame la ministre de la Culture, devons-nous changer de métier? »
Dans cette lettre ouverte que nous publions sous forme de carte blanche, le comédien Nicolas Buysse témoigne de sa détresse et de celle de tout le secteur.
Madame la ministre de la Culture,
Messieurs les élus et autres députés de tous genres,
Devons-nous changer de métier? Help!
Comédien depuis plus de 25 ans, diplômé du Conservatoire Royal de Liège et père de famille nombreuse,
Je n’ai plus le courage de pratiquer ce métier, parce que vous nous avez laissés tomber au bord du chemin. Et qu’à un moment, la responsabilité de nos dirigeant(e)s est directement impliquée dans la survie d’un secteur.
Je pense que vous ne mesurez pas l’état de détresse des artistes confirmés en ce moment et qui vivaient avant la crise de leur métier.
Alors avec ces quelques lignes graver dans le cloud la tristesse, l’immense chagrin, la dure fragilité et le vague à l’âme déferlant dans ces temps brumeux aux visages de centaines d’artistes, technicien(ne)s, auteur(e)s, metteurs en scène…
Je ne rentrerai pas dans le débat de l’Essentiel/Non essentiel mais des personnes, artistes du bas de la chaîne de montage du spectacle (du rêve?) que vous semblez parfaitement ignorer ou en tous cas ne pas prendre en compte depuis de longs mois maintenant.
Dans un premier temps nous nous sommes dit « restons courtois », à situation exceptionnelle, patience exceptionnelle. Mais votre absence de mots envers les plus fragilisés, je parle des artistes du bas de la chaîne, devient insupportable de tristesse, et je pèse mes mots.
J’ai, il y a quelques mois d’ailleurs, lancé un premier appel et vous êtes restée sans réponse.
Il y a bien sûr eu quelques effets d’annonce, de retour à plus d’horizontalité, de création transversale avec de nouveaux experts pour à nouveau bouger des lignes, changer le cap, trouver un horizon culturel digne de ce nom.
Mais avant de lancer de nouveaux chantiers ne serait-il pas opportun d’abord de sauver ce qui est déjà en place? Et de s’occuper un peu des humains qui sont derrière tous ces métiers artistiques depuis de longues années et dont les saisons prévues de longue date sont cruellement impactées? Et qui n’ont pour la plupart rien vu des aides allouées.
Je vous parlerai donc de faits concrets, Madame la ministre et qu’apparemment on ne maîtrise pas à l’abri des hautes fenêtres de la Fédération Wallonie Bruxelles.
Depuis le 13 mars 2020 en ce qui me concerne, ce sont plus de 180 soirées où je n’ai pas pu prendre ma petite valise d’enthousiasme pour aller rencontrer le public, ce public chéri qui nous manque tant.
Le grand hic Madame la ministre, c’est que nous ne sommes pas indépendants pour la plupart, et donc sans droit passerelle, pour ma part une indemnité de plus ou moins 1050 euros par mois de chômage (pseudo statut d’artiste et donc un peu plus que le CPAS). Ce qui est déjà une injustice flagrante par rapport à d’autres secteurs.
Oui Madame la ministre, les bâtiments et les théâtres sont couverts par les subsides mais plus la survie de nos familles, des artistes engagés à court terme.
Comment faire maintenant pour subsister décemment? Vu qu’aucune directive claire n’a été donnée aux théâtres? Ni aucune aide concrète pour aider et compenser les représentations annulées.
Théâtres qui, quand ils s’adressent à nous, nous font part également de l’absence de réponse et de directive claire du ministère… et donc dans l’impossibilité de nous aider et de nous donner des réponses.
Une sorte d’énorme serpent qui se mord la queue…
Dans cette crise nous sommes des personnes (les artistes) qui n’ont droit à rien, aucun dédommagement (si ce n’est le pseudo statut d’artiste pour ceux qui l’ont).
Ne serait-il pas temps de se tourner vers l’essence (ciel) même de ceux qui font que les théâtres pourront rouvrir? Sans artistes, ces lieux resteront vides et sonnent creux.
Comment continuer?
Comment tenir?
Doit-on se réorienter vers d’autres métiers, Madame la ministre?
Y croyez-vous?
L’absence de directives claires aux directions des théâtres fait que nous nous retrouvons dans une situation kafkaïenne où certains théâtres rompent purement et simplement les contrats pour cas de force majeure. Et devant la difficulté administrative des mises au chômage temporaire, reportent à l’année prochaine (pour ceux qui le font puisqu’il y a maintenant embouteillage monstre de projets qui ne pourront pas tous voir le jour) en annulant purement et simplement nos contrats actuels. Je parle ici de grands théâtres subventionnés, pas tous mais quelques-uns, qui profitent du vide ambiant pour dicter leur façon de voir l’avenir. Sans tenir compte des dates essentielles annulées et du trou conséquent que cela représente pour de nombreuses familles.
D’autres essayent de nous aider tant bien que mal. Mais que faire avec ces centaines de dates annulées et souvent pas couvertes par les théâtres qui renvoient la balle au ministère? Comment assurer la logistique de vie, nos enfants, l’école de nos enfants, les remboursements de nos emprunts?
Vu que rien n’est prévu pour nous aider et que la plupart du temps, nous ne sommes plus la priorité des théâtres, trop occupés aux mises aux normes Covid et aux reports incessants des spectacles.
Nous sommes perdus, hagards, crucifiés le long du chemin, et l’histoire se souviendra sans doute du manque de courage de nos institutions pour aider les petites gens pratiquant leur art avec noblesse.
À crise exceptionnelle, nous attendons de vous des solutions exceptionnelles.
Il en va de la survie mentale et psychique de femmes et d’hommes qui ont fait le pari de rendre la vie plus poétique.
D’hommes et de femmes qui n’arrêtent pas d’entendre « AHHH les artistes, vous êtes tellement important pour nous. Que ferions-nous sans vos instruments, sans vos voix, sans vos musiques? »
D’hommes et de femmes qui ont appris depuis longtemps la résilience mais qui craquent littéralement maintenant.
De femmes et d’hommes ordinaires qui se voient confrontés à l’injustice indigne des traitements de faveur pour des créneaux plus rentables économiquement.
D’hommes et de femmes qui sont anéantis par le manque de rigueur et la méconnaissance des réalités de terrain de nos responsables politiques à défendre et aider la base même de ceux qui pratiquent ce métier.
Bien sûr il nous faut des théâtres en ordre de marche dès la reprise, mais il faut aussi se cogner à la réalité. Nous allons subir une lame de fond, une vague beaucoup plus brusque et dont on ne parle jamais. Plus de nouveaux projets de création depuis mars 2020, comme les saisons artistiques se créent un à deux ans en avance, nous nous apprêtons à vivre une seconde année blanche, gorgée des reports et qui du coup embrume l’horizon de nos vies, de la création. Bien sûr personne n’est responsable de cela, mais la responsabilité maintenant est de nous permettre de tenir le cap, c’est bien cela l’horizontalité à aider urgemment, avec des mesures concrètes.
Les acteurs concrets du terrain ne voient pas l’once d’une ombre de ces aides. À part parfois des captations de spectacle représentant une à deux journées de travail et monnaie d’échange des théâtres pour essayer d’annuler les représentations reportées. En nous disant « soyez déjà content » « c’est capté vous aurez une visibilité ».
Vous ne mesurez pas à quel point il est urgent de proposer des solutions concrètes au lieu du silence qui use et décime.
Je n’ai pour ma part plus envie de continuer, et sincèrement, un mot, une attention, nous faire part du fait que vous vous rendez compte de ça aurait été salutaire.
On va sans doute me répondre que c’est en train de changer, tant mieux, ce jour la chambre reçoit quelques-uns de mes collègues qui se battent au quotidien courageusement, comme l’Union des Artistes, pour nous représenter collectivement sur du long terme. Et pour défendre un véritable statut.
Je vous parle ici du court terme, du maintenant. Des hommes et des femmes qui ne peuvent plus tenir. Nous avons besoin d’un capitaine et de mesures claires pour toutes les annulations, de simplifications administratives et d’aides immédiates directement allouées à ceux et celles qui donnent leur vie pour ce métier et pour parer aux deux années difficiles à venir.
J’espère avoir trouvé une brèche dans ce grand vide pour que ces quelques mots vous parviennent.
Et ralentir la tumeur culturelle qui s’empare de nos âmes et ronge nos vies les plus intimes.
Et nous nous rendons bien compte qu’il ne doit pas être simple d’être ministre de la Culture en ce moment,
Mais c’est d’une urgence absolue dont je vous parle, et le temps passe…
Artistiquement vôtre,
Nicolas Buysse
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