L’oeuvre de la semaine: rêve-t-elle ?
Elle n’a pas de cou, pas de cheveux, les paupières closes mais rêve-t-elle ? De sa tête endormie ont poussé des feuilles et peut-être même des ailes.
Certes, les diverses mythologies nous ont depuis toujours habitués au règne de l’hybride reléguant du même coup ces possibles dans le champ de la littérature. Si le surréalisme a usé du procédé à des fins d’introspection, il a comme les récits venus de la Grèce antique, privilégié, pour nous ouvrir aux possibles, la seule rencontre de deux figures. Soi des images double obtenues par superposition d’un homme à tête de cheval par exemple ou par le truchement des métamorphoses qui voit Jupiter en cygne et Daphné en laurier.
Mais à chaque fois, subsiste une forme de séparation des règnes qui place l’homme (la culture) face à la nature (animale ou végétale) comme des éléments étanches et ethno-centrés comme le rappelle Philippe Descola ans « Par-delà nature et culture ». Or, ici, l’image de cette figure, en réunissant les différents règnes du vivant, pourrait davantage rejoindre d’autres paradigmes qui donnent à tous les êtres sans distinction, une existence en propre, une intelligence, un esprit qu’il s’agisse de la fleur de mimosas comme du moineau ou de l’araignée. Une forme différente de lien qui, depuis la Préhistoire, renverrait plutôt à ce qui a été désigné par les mots de totémisme et d’animisme aujourd’hui revisités.
La rêveuse que voilà désignerait alors davantage une figure de l’accueil davantage que du repli onirique, le signal d’une prise de position très actuelle qui tout en étant silencieuse n’en n’est pas moins politique. Or si Kiki Smith (New-York, 1954) en arrive là après plus de 40 ans de création, c’est peut-être grâce à la profondeur de son intérêt pour les contes de fée et les fairies, dont les créatures imaginaires, précise Estelle Zhong Mengual (« Apprendre à voir »), comme les vivants animaux ou végétaux, « ne cessent, de jouer des tours et de contrecarrer les humains dans leur destinations et leur projet. »
Or, cette conscience à la fois des altérités et des complémentarités l’auront aussi amené à préciser son féminisme et ce, par-delà les frontières de la terre-Gaïa, ce dont témoignent d’autres pièces récentes en relation avec la lune ou les étoiles. En choisissant de resserrer le propos à partir d’oeuvres, pour la plupart modestes autant que fragiles, la Fondation Thalie en collaboration avec la galerie Continua, vise ainsi l’intime conviction de l’artiste américaine qui aurait alors pu reprendre à son compte une des déclarations méconnues de Charles Darwin : « Les hommes ont en eux le tout ».
Bruxelles, Fondation Thalie. 15 rue Buchholtz à 1050 Ixelles. Jusqu’au 1er mai. Du mercredi au samedi de 14h à 18h. www.fondationthaie.org
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