L’oeuvre de la semaine: Les pins de Beyrouth
« Dans nos ténèbres, écrivait le poète René Char, il n’y a pas une place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté. »
Combattue, vilipendée et détrônée par un XXe siècle avide de « progrès », elle revient aujourd’hui entre les lignes de front de ce qu’on appelait jusqu’il y a peu la contemporanéité. Insaisissable et irrationnelle, elle défie les mots et pourtant s’éprouve jusqu’à l’indispensable à la manière d’une lotion apaisante ou d’une piqûre de rappel. Elle que le regard du créateur a vu ce fragment du monde soudain suspendu, arraché et sublimé : c’est beau et c’est tout. Franck Christen appartient à cette catégorie d’observateurs à l’affût de ces apparitions sans histoire et sans prétexte. Un massif de fleurs lui suffit pourvu que la lumière dessine les contours, se faufile entre les feuilles et habite la couleur des pétales. Un filet de pêche où pendent les méduses le ravit pourvu que les noirs aux grisés fassent la fête. Esthétisme direz-vous ? Il y a bien davantage dans les oeuvres de ces vingt ans de photographies présentées en ce moment à la Box Galerie de Bruxelles. Chacune des images, en noir et blanc ou en couleur est un « portrait » mais qui peut être celui d’un hibou comme d’un cèdre du Liban, d’un nuage comme d’un ami pourvu que l’image en ses différents constituants deviennent, comme dans la peinture abstraite, les signes d’une nécessité intérieure. Quand on regarde cette vue en contre-plongée prise à Beyrouth d’un ensemble de pins parasols, on songe aux jardins de Rome même s’ils évoquent moins la musique de Respighi qu’un paysage calligraphié par un de ces sages de la tradition chinoise. En effet, par l’angle de vue choisi qui fait du ciel une surface vide, les masses vaporeuses des aiguilles comme l’irrégularité des troncs, renvoient aux compositions à l’encre et au pinceau de l’époque des Song du XIIIe siècle. Soit, au spectacle d’une abstraction qui énonce le souffle vital et, au-delà de sa beauté, contient une philosophie qui est aussi un contrat avec le monde de la nature et des hommes. Encore faut-il que la maîtrise technique soit au diapason du regard. Ce qui est le cas et fait des photographies de Franck Christen, autant de lieux où apaiser nos obscurités, nos peurs, nos colères.
Bruxelles, Box Galerie. Chaussée de Vleurgat, 102 à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 27 février. Du mercredi au samedi de 14h à 19h. www.boxgalerie.be
Légende : Franck Christen, #2616 Beyrouth, 2019. C de l’artiste.
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