L’oeuvre de la semaine: Les grottes habitées
« Dès le seuil de la grotte, écrivait Gaston Bachelard, on peut sentir une synthèse d’effroi et d’émerveillement, un désir d’entrer et une peur d’entrer ». Et quand la couleur bleue déréalise ce « topos » particulier (topothésique diront les érudits pour en indiquer l’artificialité), elle évoque l’heure où, avec lenteur, le jour se prépare à la nuit et avec lui, à la naissance des rêveries comme dans les tableaux de William Degouve de Nuncques.
Le bleu aussi de la grotte mystérieuse peinte par Léonard de Vinci à l’arrière du célèbre tableau de « La Vierge aux rochers » conservé à la National Gallery de Londres. Ce même Léonard qui imagina dans la mise en scène de l’Orphée » d’Ange Politien, un décor de montagnes qui, par un système d’engrenages, s’ouvrait sur les profondeurs des enfers.
Le pastel bleu proposé par le Suisse Nicolas Party (°1980) rejoint à son tour les entrailles du songe et nous invite à rejoindre son « musaeum », un terme utilisé à l’époque de Cicéron pour définir ce qui deviendra, à la Renaissance, la grotte artificielle. Un lieu couvert, dans les siècles passés, de coquillages et de pâtes de verre, de fausses stalactites et de pierres ponces ajoutées, de miroirs convexes puis concaves, d’améthystes, de topazes, de cristaux et de sculptures, voire d’automates. A l’origine, comme à l’heure du maniérisme italien, les grottes artificielles sont aussi des lieux où, par l’intermédiaire d’images artistiques, se posent par la métaphore, la symbolique ou la citation, les grandes questions relatives à l’Eros comme au Thanatos, à la vanité comme aux mystères du monde.
C’est ainsi que Party a métamorphosé la galerie Hufkens en une suite de chambres dont les murs, les passages et les colonnes affichent leur insolente artificialité : faux bois et faux marbre entourent les murs peints de teintes vives et sucrées qui renvoient davantage aux contes de fée de Charles Perrault, celui-là même qui fut appelé par Colbert pour imaginer la célèbre grotte de Thétis à Versailles. Oui, mais ici, des chambres presque monacales, habitées par les rondeurs de personnages acéphales à la peau rose et lisse évocateurs de la plastique grecque et sur l’épiderme desquels viennent se poser de fragiles papillons dignes des « vanités » de la peinture flamande. On rencontre aussi, figé et plat comme sur les cartes à jouer, un personnage que la fixité du regard et de la pose désigne comme gardien. Un gardien à la peau bleue qui, les mains jointes, interroge, avec la présence d’hippocampes et de libellules, les symboles réunis du souterrain et de l’aérien, de l’eau et de l’air. Le sentiment d’inquiétante étrangeté, naîtrait-elle, comme le suggère le psychologue Ernst Jentsch, du fait que, face aux oeuvres, on se demande si ces objets « n’auraient pas par hasard une âme « ?
Bruxelles, Galerie Hufkens. Jusqu’au 14 décembre. 6 rue Saint-Georges. Du Ma au Sa de 10h à 18h. www.xavierhufkens.com
Légendes:
Grotto, 2019. Photo credit HV studio. Courtesy The Artist and Xavier Hufkens, Brussels
Portrait with Seahorses, 2019. Photo credit HV studio. Courtesy the Artist ad Xavier Hufkens, Brussels.
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