L’oeuvre de la semaine: Les fleurs de Calcutta
Sous le vieux pont bétonné de Howrah, dès l’aube et comme tous les matins, les fleurs arrivent par milliers venues de campagnes voisines.
Sous le vieux pont bétonné de Howrah, dès l’aube et comme tous les matins, les fleurs arrivent par milliers venues de campagnes voisines. Tout au long de la ligne de chemin de fer, à même le sol boueux ou dans des constructions de fortune, ces tonnes de roses, d’oeillets et de glaiëuls qui se mêlent aux senteurs acidulées et fruitées d’hibiscus et entêtantes du jasmin, s’offrent en vrac, en lourdes guirlandes, voire en délicats colliers. Vendues à la criée pour être exportées aux quatre coins de l’Inde ou achetées par des particuliers, ces fleurs seront portées, serviront d’offrandes aux divinités hindoues ou accompagneront les fastes d’un mariage.
Mais comment fait alors le photographe français Denis Dailleux alors immergé dans le bouillonnement humain et le trop-plein floral, chromatique et sonore, pour « voir » le silence qui accompagne ce que, en français, on appellerait une « nature morte » et qui, chez lui, relève d’abord du « portrait ». La réponse tient en deux termes : l’empathie et le choix technique. La première est redevable à son parcours de vie qui d’Angers où il est né en 1958, l’emporte à Paris où il rêve de devenir photographe mais, pour survivre, devient…fleuriste jusqu’au jour où, par amour, il suit son ami jusqu’au Caire. Il y restera de quinze ans. Quinze ans à parcourir les quartiers populaires.
Quand éclate, le 25 janvier 2011, les émeutes de la place Tarir, il se mêle à la foule mais renonce à prendre la moindre photo. L’expérience est fondatrice non qu’il participe mais qu’il y découvre, en citoyen, le courage d’une jeunesse sacrifiée : « J’ai vu des gamins qui, dans ce chaos, rejoignaient leurs compagnons en portant, à bout de bras, la photographie d’un de leurs amis tué par la milice. J’ai su alors ce que je devais faire : leur rendre hommage ». Alors, il va retrouver les parents de ces « martyres » et tirer le portrait de leur solitude. D’autres expériences, comme lorsqu’il rejoint le Ghana, parcourent sa biographie.
La seconde raison est liée au choix de l’appareil, un bi-objectif manuel 6×6 de type Rolleiflex. Cela lui permet de gérer lui-même le type de lumière par exemple afin qu’elle corresponde à sa vision mais pas que. Car, pour capter l’image au moment juste, soit pour « prendre » la photographie, Denis Dailleux ne fixe pas son modèle mais doit se placer au-dessus du boîtier et plonger dans la petite boîte. Ainsi courbé sur ce petit carré de verre, il s’isole, n’est plus « là » et l’autre, un visage ou ici cette composition née de mains anonymes et populaires, s’offre alors à son tour en plein transparence empathique.
Bruxelles, Box Gallery. « Boarding Pass » (avec aussi Marina Cox, Michael Kenna, Mark Steinmetz et Israel Arino). 102, chssée de Vleurgat. Jusqu’au 5 septembre. Du Me au Sa de 12h à 18h. www.boxgalerie.be
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