L’oeuvre de la semaine : L’as de coupe
L’oeuvre de la Californienne Theodora Allen (°1985) distille une étrange douceur en même temps qu’une inquiétante précision. L’ensemble, chromatiquement se partage entre le blanc diaphane et le bleu pâle et liquide, deux teintes propices à un dépassement de la conscience : » Si les portes de la perception étaient nettoyées, écrivait William Blake, l’un des maîtres de l’artiste, chaque chose apparaîtrait infinie « .
Que précisent alors les sujets figurés ? Dans une fenêtre suspendue, une main coupée tient une coupe devant un ciel lunaire envahi par les vrilles végétales. L’image, autant que le cadre qui tient à la fois du portail et de la cloche, renvoie aux as de coupe des tarots anciens. Or, dans le Tarot en tous cas, (qui inspire à son tour le travail de l’artiste actuelle) la signification de cette carte varie selon qu’on la tienne à l’endroit ou à l’envers. D’un côté, elle prédit l’épanouissement, de l’autre, la répression des sentiments.
Cette opposition se précise dans « Le mariage du ciel et de l’enfer » publié en 1793 à Londres par le même William Blake qui y fait l’apologie de la transgression comme condition à la régénérescence de l’homme prisonnier de la raison. Puisant dans cette littérature autant que dans les aspirations de la confrérie préraphaélite ou encore celles de la génération hippie, Theodora Allen propose des oeuvres qui tiennent autant de l’emblème que de la carte divinatoire.
Rien n’y est gratuit. Le choix des végétaux par exemple explore celui des plantes médicinales et des psychotropes : « Ce sont, explique-t-elle, des plantes de survie qui poussent dans des endroits pauvres, dans les ruines des châteaux… ou les abords d’autoroutes. » Cette nature sauvageonne et libre est combattue par les hommes raisonnables mais recherchée par ceux qui visent le futur et la liberté. Dans l’oeuvre, à la manière d’un avertissement, certaines feuilles sont tombées hors du cadre qui les protégeait et meurent.
Mais cette peinture ne serait qu’anecdotique, au mieux, vaguement symboliste s’il n’y avait, pour l’incarner une procédure inscrite dans la même logique de rencontre des contraires, condition sine qua non de toute progression (selon Blake). Tout part d’une toile de lin vierge, tissée de manière régulière et orthogonale.
Sur ce support, Allen laisse se répandre (au hasard), une flaque d’aquarelle qu’elle laisse sécher dans différentes conditions, abandonnant au temps naturel, le soin de modifier la structure géométrique initiale tressée par la machine. Sur ce fond qui associe déjà des contraires, elle dessine à la manière précise des livres illustrés anciens de botanique, ces fleurs et ces feuilles qu’elle couvre d’une étrange opération. Le bleu translucide est d’abord étendu puis couvert par un glacis mince. Un deuxième sera ajouté puis aspiré: « J’ajoute et je supprime » précise-t-elle soumettant ainsi le tissu à une usure.
Celle-ci, tout en provoquant la précision d’une esthétique qui n’est pas sans évoquer les photographies de Karl Blossfeldt et, malgré la douceur de l’ensemble, gagne alors une présence que Blake appelait « une exubérante beauté ». D’autres oeuvres de Théodora Allen participent à l’exposition « American Women, the infinite Journey » imaginée par la commissaire Marie Maertens.
Bruxelles, La Patinoire royale Valérie Bach. 15 rue Veydt (1060). Jusqu’au 21 mars. Du mardi au samedi de 11h à 18h. www.prvbgallery.com
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