L’oeuvre de la semaine: La lumière mode d’emploi
Photographe retoucheur, le Bruxellois Jonathan Steelandt peut se mettre au service des autres et, par sa connaissance du métier, valoriser la plasticité ici d’une bouteille d’alcool, là d’une chaussure, d’un T-shirt, d’un bijou ou d’une chaussure.
Mais dans son studio de 200 m2 situé non loin de la gare du midi, il développe aussi une oeuvre personnelle qui n’est pas sans évoquer, par ses logiques même, le célèbre roman de Gorges Perec « La vie mode d’emploi ». Ainsi, sa série intitulée « 9181 » pour laquelle il a, méthodiquement photographié les gens et leurs petits évènements, en se limitant à faire inlassablement le tour de deux pâtés de maisons distants de près de 10.000 km, l’un, où il habite (Ruysbroeck), l’autre, au Brésil d’où est originaire sa compagne. Avec le même sens d’un sujet exploité jusqu’à épuisement, il a aussi affronté l’autoportrait et, de manière plus ironique, de petits théâtres urbains intégrant la famille des Play-mobil. Mais à chaque fois, on voit combien, sur cette approche « en série » (avec ou sans retouche) vient se greffer le rôle que peut jouer le principal acteur : la lumière. Celle dont le bon sens voudrait faire l’outil du réalisme le plus surligné tout comme la perspective est celui du contrôle de l’espace.
Or, l’art nous révèle qu’au temps où les peintres apprenaient à maîtriser cette géométrie, Paolo Uccello, usant des mêmes moyens, provoquait l’écart, le trouble et l’incertain. On pourrait aussi pu citer les jeux de perspectives dépravées, les prisons de Piranèse et plus près de nous encore, les labyrinthes d’Escher. Dans la série proposée dans l’exposition, Jonathan Steelandt revenu au seul travail en studio et sans aucun trucage va plus loin en visant à matérialiser la lumière par la disposition de sources lumineuses projetée seulement sur deux objets (le blanc d’une boîte à chaussures pour le fond et un normographe ayant appartenu à son grand-père pour la « figure »). L’ensemble accroché aux cimaises n’épuise pas les diverses possibilités offertes par ces deux acteurs.
En usant à la fois de la surface transparente, verte ou orange du normographe et de sa tranche bleue ou orange, apparaissent l’un ou l’autre indice (une ombre, des lettres par exemple) qui nous suggère, dans des compositions aux allures d’abstraction géométrique, la réalité de l’outil. Un outil grâce auquel avant l’informatique, on pouvait dessiner en suivant les contours des vides ménagés sur la surface en plastique de cette étrange latte, inscrire un texte en lettres « normalisées ». Comme chez le romancier, ce travail ludique, né à son tour d’une contrainte, écarte toute forme de hasard. Du coup, il titille notre désir d’en comprendre la mécanique même si, pour reprendre les mots de Georges Perec, « rien ne sert de rien, cependant tout arrive. »
Bruxelles, Le Salon d’Art. 81, rue de l’Hôtel des monnaies (1060). Jusqu’au16 octobre. Du mardi au vendredi de 14h à 18h30, samedi de 9h30 à 12h et de 14h à 18h. www.lesandart.be
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