L’oeuvre de la semaine : « Je préfère vivre de travers »
Au coeur de l’asile psychiatrique de Gand, la collection d’art outsider se déploie dans un espace labyrinthique fait de couloirs, de passages et de lieux clos comme celui qui accueille les oeuvres au noir de François Burland.
On y voit des silhouettes humaines à tête cornue, trop grandes pour l’espace, d’autres plus grandes encore et puis un loup. L’horizon a été confisqué, remplacé par une suite de disques dentelés comme autant d’étoiles ou de rouages qui jamais ne s’accoupleront alors que des visages fantômes remplissent les rares vides ainsi comblés. L’oeuvre date de 2005. François Burland approchait alors la cinquantaine et s’accrochait à son seul imaginaire comme à une bouée d’intranquilité. Car ce bestiaire, en réactivant l’espace magique de sa préhistoire personnelle, le protégeait du monde et des institutions qui le gouvernent.
« Créer, c’est résister » écrivait Gilles Deleuze. Pour l’artiste suisse, il s’agissait avant tout (« la peinture est un paravent » dit-il) d’une attitude non raisonnée mais vitale et ce dès l’enfance. Etait-ce la faute aux gitans installés dans le jardin de son grand-père, aux montres suisses ou à l’école qu’il détestait. Quelques années plus tard, le voilà entouré par les sdf et les toxicos autant que par la génération punk. Le voilà déserteur, « Je ne suis engagé dans aucune cause ». Alors, il dessine, peint, colle, grave sur des sacs krafts de farine animale posés à même le sol, des animaux d’ici et d’ailleurs, mêlant le passé et le présent, libérant ainsi, écrira Michel Thévoz (alors directeur du musée de l’art brut de Lausanne), cette animalité que la culture tente de vaincre ».
A 30 ans, il s’échappe, gagne le désert algérien, où il retournera 80 fois au fil des ans, partageant sa vie avec les touaregs, leurs croyances autant que leur acculturation. Il voit aussi combien, chez les brodeuses, l’art est d’abord, une affaire de complicité et de bonheurs partagés, ce qui le pousse à travailler en équipe. Puis, un jour, au milieu du grand vide désertique, des bouteilles en plastique et des chaussures de gosses vont témoigner de la réalité des enfants migrants.
De retour en Suisse, il crée l’association Nela qui cherche à accueillir les jeunes migrants mineurs d’âge : « J’ai commencé à faire de la peinture pour échapper à la vie. Au bout du compte, c’est elle qui m’a ramené à la vie ». Car avec ces jeunes, il réalise des fresques, construit des fusées, un sous-marin, des banderoles et des gravures, ivres d’histoires qui ne lui appartiennent pas et des slogans qui lui tiennent chaud au coeur comme « Regarde bien ta Rolex, il est l’heure de la révolte ». Oui, confie-t-il, « je préfère vivre de travers, l’art du coup est un beau prétexte » mais ajoutera-t-il, « l’essentiel est ailleurs…auprès des autres ».
Gand, musée du Docteur Ghislain. Guislainstraat, 43. Du mardi au vendredi de 9h à 17h, samedi et dimanche de 13h à 17h.
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