L’oeuvre de la semaine: chaque jour, convoquer l’éclair
Comme chaque matin, à 88 ans, Jacques Lacomblez, après avoir pris son petit déjeuner, remonte dans sa chambre où, autour de son lit et des quelques-uns de ses livres préférés (Mallarmé, Novalis, Kant …) se dresse son chevalet. La lumière n’y est pas bien généreuse mais lui convient.
Jusqu’à midi, dans ces discrètes clartés, il peint,en ymagier du moyen-âge, avec lenteur et précision. L’après-midi, comme depuis tant d’années, sera d’abord consacrée à l’écriture, lente à son tour tant les vers ciselés du poète convoqueront, comme dans la peinture, le feu entre les mots et leur parfum.
Ensuite, s’isolant du monde, il rejoindra la musique avec pour seuls témoins, les centaines d’ouvrages de philosophie et surtout de poésie. Des textes qui agitent son esprit depuis qu’à 14 ans, un collègue de son père à l’administration d’Ixelles, l’artiste Henri Heerbrant, lui aura fait découvrir les écrits de Karl Marx, Henri Michaux et André Breton.
A 22 ans, il est invité par ce dernier à le rencontrer puis à assister aux réunions du groupe surréaliste et du coup, à côtoyer tous les ténors du mouvement. Les années passent et sa quête demeure aussi exigeante qu’aux premiers jours. Loin des bruits, Jacques Lacomblez peint encore et encore, dans cet atelier de l’intime, en multipliant les glacis afin que la couleur et les formes et ce jusqu’au moindre tracé fin, ne soient éblouies par une lumière reçue du dehors mais que celle-ci émane des fonds, voire, des arrière-fonds de l’oeuvre et de l’esprit.
Car enfin, que signifient ces fragments séparés qui se répartissent, semble-t-il de part et d’autre d’une ligne d’horizon qui fait de ce champ d’étrangetés tour à tour minérales, végétales et géométriques, un paysage à l’apparence pétrifiée. Le voyage peut commencer. On cherchera d’abord à identifier l’une ou l’autre de ces unités que l’on rattachera sans trop se compromettre aux diverses catégories du monde naturel, voire cosmique. Mais, dès qu’on s’attarde, qu’on distingue un plissement, un relief, un trou, le détail se fait immense, hors échelle et inquiétant, luciférien même. C’est alors que, provenant du coeur de ces formes en suspensions, s’étirent des tracés clairs et flagellés, comme les cils urticants des coraux.
Dans l’immobilité apparente du vide qui les entoure, une tension vient de naître et vise le contact (le désir) alors qu’ailleurs un long ruban géométrique impose, oblique, aussitôt d’autres références, à mille lieues semble-t-il. En réalité, chaque partie, à la manière d’une chambre d’écoute, serait, pour reprendre les mots de René Magritte, « un lieu de silence susceptible d’être occupé par le sonore.
Peu importe ce que l’on peut y voir ». Une chambre dont la porte demeurerait entr’ouverte vers d’autres chambres qui peu à peu assemblées en un ordre souterrain, construirait une architecture vivante qui, à la manière d’un poème ou d’une partition musicale, vise l’éclair à travers le parfum des mots, des notes et des apparitions. A 88 ans, chaque jour, ce faisant, Jacques Lacomblez traverse les régions du symbolisme, de la synesthésie et de ces « coups de dés qui, jamais n’aboliront le hasard ».
Bruxelles, galerie Quadri. 105, avenue Marie-Henriette. Jusqu’au 23 avril. Vendredis et samedis de 14h à 18h. www.galeriequadri.com
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