L’oeuvre de la semaine: Ceci n’est pas un paysage.
D’où vient ce paysage de montagnes improbables lancées vers le ciel comme des cris de terreur ?
D’où vient ce paysage de montagnes improbables lancées vers le ciel comme des cris de terreur ? Quand la Hollandaise Jacqueline de Jong peint cette toile voici près de trente ans, la guerre du golfe vient de se terminer. A 52 ans, la hollandaise l’a vécue par un écran interposé qui, dès la première nuit, déverse jusqu’à la nausée (ou l’indifférence) la mise en scène et en direct, de l’assaut mené par une coalition internationale emmenée par les Américains.
Une guerre lissée menée par les technologies de pointe comme un spectacle hollywoodien, une irréalité. Pas d’héroïsme, aucun traumatisme, aucun humain. Ecran plat. Sauf pour l’artiste qui décide d’en faire une série appelée « Megalith » qui n’est pas sans lien avec son trajet de vie et son enfance. En effet, elle a à peine un an quand l’Allemagne nazie envahit son pays et entame, un mois plus tard, les premières traques des Juifs.
En 1942, les déportations se multiplient et la petite fille de trois ans tente de rejoindre la Suisse avec sa mère. A la frontière, la police française les arrête et les aurait emmenées vers le camp de Drancy si elles n’avaient été libérées par la Résistance. Entretemps, Rotterdam a été bombardé suite à « un erreur de communication » : 800 morts, 78.000 sans-abri. La guerre, c’est aussi cela. Des bavures dont les civils paient le prix fort. Depuis ces années, la révolte s’est inscrite, indélébile et féroce dans son art.
Après quelques passages à Londres et à Paris par la mode et le théâtre, c’est à Amsterdam, haut lieu des arts modernes dans les années 1960 qu’elle rencontre Asger Jorn, le plus flamboyant des peintres du mouvement Cobra et avec lequel elle partagera sa vie pendant plus de dix ans. Là aussi qu’elle fait la connaissance de Guy Debord qui l’initie à l’Internationale Situationniste dont elle devient l’égérie hollandaise. Désormais, pour elle, art et politique, réflexion et pratique, sont désormais inséparables et la guerre rampe à tous les étages d’un quotidien qu’elle traque désormais avec virulence et ironie dans un style qui, dans le cas de ce paysage, n’est évidemment pas sans rappeler Cobra. Dans cette nature sans témoin, le ciel se blesse aux sommets et le jaune du désert laisse s’écouler le sang des absents.
Le plus souvent pourtant, elle évite cette abstraction et opte pour une figuration allusive. Ainsi, dans une série de tableaux exposés en ce moment, ce sont les gaz chlorés qu’elle peint en grisailles à partir de pierres ponce moulues en puisant tout à la fois sur les images témoignages de l’Yser et sur l’actualité syrienne. Longtemps méconnue, l’oeuvre de l’octogénaire avait été révélée aux Abattoirs de Toulouse en 2018. Un an plus tard, le Stedelijk d’Amsterdam lui organisait une rétrospective alors qu’au Wiels, une expo (reportée) est annoncée pour 2021.
Bruxelles, Galerie Rodolphe Janssen. 35, rue de Livourne. Du 12 mai au 18 juillet.
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